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Les Patriotes de 1837@1838 - Jules Verne (1828-1905), <i>Famille-Sans-Nom.</i> Deuxième partie : Chapitre 4. Les huit jours qui suivent
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Jules Verne (1828-1905), Famille-Sans-Nom. Deuxième partie : Chapitre 4. Les huit jours qui suivent
Article diffusé depuis le 31 octobre 2005
 


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Maison-Close avait donc offert un abri - précaire, sans doute - à M. et à Mlle de Vaudreuil. Tous deux se trouvaient sous le toit de la "Famille-Sans-Nom", près de la femme et du fils du traître. S'ils ignoraient encore quels liens rattachaient à Simon Morgaz cette vieille femme et ce jeune homme qui risquaient leur vie en leur donnant asile, Bridget et Jean ne le savaient que trop! Et, ce qu'ils redoutaient surtout, c'était qu'un hasard ne vînt l'apprendre à leurs hôtes!

Vers le matin de ce jour, - 26 novembre, - M. de Vaudreuil reprit quelque peu connaissance. La voix de sa fille l'avait réveillé de sa torpeur. Il ouvrit les yeux.

"Clary!... murmura-t-il.

- Mon père... c'est moi! répondit Clary. Je suis ici, avec vous!... Je ne vous quitterai plus!"

Jean se tenait au pied du lit, dans l'ombre, comme s'il eût cherché à ne point être vu. Le regard du blessé s'arrêta sur lui, et ses lèvres laissèrent échapper ces mots:

"Jean!... Ah!... je me souviens!..."

Puis, apercevant Bridget qui se penchait à son chevet, il sembla demander quelle était cette femme.

"C'est ma mère, répondit Jean. Vous êtes dans la maison de ma mère, monsieur de Vaudreuil... Ses soins et ceux de votre fille ne vous manqueront pas...

- Leurs soins!... répéta M. de Vaudreuil d'une voix faible. Oui... le souvenir me revient!... Blessé... vaincu!... Mes compagnons en fuite... morts, qui sait?... Ah! mon pauvre pays... mon pauvre pays... plus asservi que jamais!"

M. de Vaudreuil laissa retomber sa tête, et ses yeux se refermèrent.

"Mon père!" s'écria Clary en s'agenouillant.

Elle lui avait pris la main, elle sentait une légère pression répondre à la sienne.

Jean dit alors:

"Il serait nécessaire qu'un médecin vint à Maison-Close. Où en trouver? À qui s'adresser dans la campagne occupée par les royaux?... À Montréal?... Oui, là seulement ce serait possible! Indiquez-moi le médecin dans lequel vous avez confiance, et j'irai à Montréal...

- À Montréal?... répondit Bridget.

- Il le faut, ma mère! La vie de M. de Vaudreuil vaut que je risque la mienne...

- Ce n'est pas pour toi que je crains, Jean. Mais, en allant à Montréal, tu peux être épié, et, si l'on soupçonne que M. de Vaudreuil est ici, il est perdu.

- Perdu! murmura Clary.

- Et ne l'est-il pas plus sûrement encore si les soins lui manquent! répondit Jean.

- Si sa blessure est mortelle, dit Bridget, personne ne peut la guérir. Si elle ne l'est pas, Dieu fera que sa fille et moi, nous le sauverons. Cette blessure provient d'un coup de sabre qui n'a fait que déchirer les chairs. M. de Vaudreuil est surtout affaibli par la perte de son sang. Il suffira, je l'espère, de panser sa plaie, d'y maintenir des compresses d'eau froide, pour amener une cicatrisation que nous obtiendrons peu à peu. Crois-moi, mon fils, M. de Vaudreuil est relativement en sûreté ici, et, tant qu'on pourra l'éviter, il est nécessaire que personne ne connaisse le lieu de sa retraite!"

Bridget parlait avec une assurance qui eut pour premier effet de rendre à Clary un peu d'espoir. Ce qu'il fallait avant tout, c'était que personne ne fût introduit dans Maison-Close. La vie de Jean-Sans-Nom en dépendait, et plus encore la vie de M. de Vaudreuil. En effet, à la moindre alerte, si Jean pouvait s'enfuir, se jeter à travers les forêts du comté, gagner la frontière américaine, c'était interdit à M. de Vaudreuil.

Au reste, dès ce premier jour, l'état du blessé allait justifier la confiance qu'il avait inspirée à Bridget. Depuis que l'hémorragie avait été arrêtée, M. de Vaudreuil était, sinon plus faible, du moins en possession de toute sa connaissance. Ce dont il avait besoin d'abord, c'était de calme moral, et il l'aurait maintenant que sa fille se trouvait près de lui; c'était de repos, et il semblait qu'il lui fût assuré à Maison-Close.

En effet, les soldats de Witherall ne devaient pas tarder à quitter Saint-Charles pour parcourir le comté, et la bourgade serait délivrée de leur présence.

Bridget prit donc certaines dispositions, afin d'installer plus commodément ses hôtes dans son étroite demeure. M. de Vaudreuil occupait la chambre réservée à Joann ou à Jean, quand ils venaient passer une nuit à Maison-Close. L'autre chambre, celle de Bridget, devint celle de Clary. Toutes deux veilleraient alternativement au chevet du malade.

Quant à Jean, il n'y avait pas à s'inquiéter de lui ni de son frère, pour le cas où, à la suite des derniers événements, l'abbé Joann se hasarderait à venir voir sa mère. Un coin dans Maison-Close, il ne leur en fallait pas davantage.

Au surplus, Jean ne comptait pas rester à Saint-Charles. Dès qu'il serait tranquillisé sur l'état de M. de Vaudreuil, dès qu'il aurait pu s'entretenir avec lui des éventualités qu'il prévoyait, il reprendrait sa tâche. La défaite de Saint-Charles ne pouvait avoir définitivement consommé la ruine des patriotes. Jean-Sans-Nom saurait les entraîner à la revanche.

La journée du 26 s'écoula paisiblement. Bridget put même, sans éveiller les soupçons, quitter Maison-Close, ainsi qu'elle en avait habitude, afin de se procurer des provisions supplémentaires, et aussi quelque potion calmante. Depuis que la bourgade avait été évacuée, plusieurs maisons s'étaient rouvertes. Mais quel désastre, quelles ruines, surtout dans le haut quartier incendié et dévasté, du côté du camp, là où la défense avait été poussée jusqu'à l'héroïsme! Une centaine de patriotes avaient versé leur sang dans ce funeste combat, la plupart tués ou blessés mortellement. En outre, une quarantaine de prisonniers avaient été faits. L'aspect était lamentable, à la suite des excès commis par cette soldatesque déchaînée que son chef essayait vainement de retenir.

Heureusement - et c'est la nouvelle que Bridget rapporta à Maison-Close - la colonne prenait ses dispositions pour partir.

Pendant cette journée, M. de Vaudreuil, dont la situation ne s'aggrava point, put reposer quelques heures. Son sommeil fut assez paisible. Plus de délire, plus de ces paroles incohérentes par lesquelles il demandait sa fille. Il avait conscience que Clary était près de lui, à l'abri des dangers auxquels l'eussent exposée la rentrée des loyalistes à Saint-Denis.

Tandis qu'il sommeillait, Jean dut faire à la jeune fille le récit des événements de la veille. Elle apprit tout ce qui s'était passé depuis que son père l'avaient laissée dans la maison du juge Froment, pour rejoindre ses compagnons à Saint-Charles; comment les patriotes s'étaient battus jusqu'au dernier homme; dans quelles circonstances, enfin, M. de Vaudreuil avait été emporté hors de la mêlée et conduit à Maison-Close.

Clary écoutait, le cœur oppressé, les yeux humides, se raidissant contre le désespoir. Le malheur, semblait-il, les rapprochait plus étroitement, Jean et elle. Tous deux sentaient combien ils étaient liés l'un à l'autre.

À plusieurs reprises, Jean se leva, profondément troublé, ayant horreur de lui-même, voulant fuir cette intimité que la situation actuelle rendait plus dangereuse encore. Après les quelques jours passés près de Clary à la villa Montcalm, il avait compté sur les événements qui se préparaient pour se donner tout entier à sa tâche. Et c'étaient ces événements qui avaient amené la jeune fille dans la maison de sa mère, en même temps qu'ils la contraignaient à s'y réfugier près d'elle!

Bridget eut bientôt reconnu la nature des sentiments qu'éprouvait son fils. L'effroi qu'elle en conçut fut égal à celui de Jean. Lui!... le fils de Simon Morgaz!... Mais l'énergique femme ne laissa rien voir de ses angoisses. Et pourtant, que de souffrances elle prévoyait pour l'avenir.

Le lendemain, M. de Vaudreuil fut instruit du départ des soldats de Witherall. Se sentant moins faible, il voulut interroger Jean au sujet des conséquences de la défaite de Saint-Charles. Qu'étaient devenus ses compagnons Vincent Hodge, Farran, Clerc, Sébastien Gramont, le fermier Harcher et ses cinq fils, qui avaient si vaillamment combattu dans la journée du 25?

Bridget, Clary et Jean vinrent s'asseoir près du lit de M. de Vaudreuil.

À la demande qu'il fit, Jean répondit en le priant de ne point se fatiguer par des interrogations réitérées.

"Je vais vous apprendre ce que je sais de vos amis, dit-il. Après avoir lutté jusqu'à la dernière heure, ils n'ont été accablés que par le nombre. Un de mes braves compagnons de Chipogan, ce pauvre Rémy Harcher, a été tué presque au début de l'action, sans que j'aie pu le secourir. Puis, Michel et Jacques, blessés à leur tour, ont dû quitter le champ de bataille, emportés par leur père et leurs deux autres frères. Où se sont-ils enfuis, lorsque la résistance est devenue impossible? je l'ignore, mais j'espère qu'ils ont pu atteindre la frontière américaine. Le député Gramont, fait prisonnier, doit être maintenant dans les prisons de Montréal, et nous savons le sort que lui réservent les juges de lord Gosford. Pour MM. Farran et Clerc, je pense qu'ils se sont soustraits aux poursuites des cavaliers royaux. Étaient-ils sains et saufs? Je ne saurais l'affirmer. Quant à Vincent Hodge, il m'est impossible de dire...

- Vincent Hodge a pu se dérober à ce massacre! répondit Clary. À la nuit tombante, il errait autour de Saint-Charles, vous cherchant, mon père. Mme Bridget et moi, nous l'avons rencontré sur la route. C'est grâce à lui que nous avons échappé aux violences de soldats ivres qui nous insultaient, et nous réfugier à Maison-Close. Sans doute, il est maintenant en sûreté dans quelque village des Etats-Unis.

- C'est un noble cœur, un vaillant patriote! dit Jean. Ce qu'il a fait pour Mlle de Vaudreuil et pour ma mère, il l'a fait pour moi au plus fort de la bataille! Il m'a sauvé la vie, et peut-être, eût-il mieux valu me laisser mourir!... Je n'aurais pas survécu à la défaite des Fils de la Liberté.

- Jean, dit la jeune fille, en êtes-vous donc à désespérer de notre cause?

- Mon fils désespérer!... répondit vivement Bridget. Je ne le croirai jamais...

- Non, ma mère! s'écria Jean. Après la victoire de Saint-Denis, l'insurrection allait s'étendre dans toute la vallée du Saint-Laurent. Après la défaite de Saint-Charles, c'est une campagne à reprendre, et je la reprendrai. Les réformistes ne sont pas encore vaincus. Déjà, ils doivent s'être réorganisés pour résister aux colonnes de sir John Colborne! Je n'ai que trop tardé à les rejoindre... Je partirai cette nuit.

- Où irez-vous Jean? demanda M. de Vaudreuil.

- À Saint-Denis, d'abord. Là, j'espère retrouver les principaux chefs avec lesquels nous avions repoussé si heureusement les soldats de Gore...

- Pars donc, Jean! dit Bridget en jetant sur son fils un regard pénétrant. Oui, pars!... Ta place n'est pas ici!... Elle est là-bas, au premier rang...

- Oui, Jean, partez! reprit Clary. Il faut rejoindre vos compagnons, reparaître à leur tête!... Que les loyalistes sachent bien que Jean-Sans-Nom n'est pas mort..."

Clary n'en put dire davantage.

M. de Vaudreuil, à demi soulevé, prit la main de Jean, et, lui aussi, répéta:

"Partez, Jean! Laissez-moi aux soins de votre mère et de ma fille! Si vous revoyez mes amis, dites-leur qu'ils me retrouveront parmi eux, dès que j'aurai la force de quitter cette demeure! - Mais, ajouta-t-il d'une voix qui indiquait son extrême faiblesse, si vous pouvez nous tenir au courant de ce qui se prépare... s'il vous est possible de revenir à Maison-Close! Ah Jean!... J'ai tant besoin de savoir... ce que sont devenus tous ceux qui me sont chers... et que je ne reverrai jamais peut-être!

- Vous le saurez, monsieur de Vaudreuil, répondit Jean. Reposez-vous maintenant!... Oubliez... jusqu'au moment où il faudra combattre!"

En effet, dans l'état où se trouvait le blessé, il importait que toute émotion lui fût épargnée. Il venait de s'assoupir, et cet assoupissement se prolongea jusqu'au milieu de la nuit. Aussi son sommeil durait-il encore, lorsque Jean quitta Maison-Close vers onze heures du soir, après avoir dit adieu à Clary, après avoir embrassé sa mère, dont l'énergie ne se démentit pas au moment où elle se sépara de son fils.

Au reste, les circonstances n'étaient plus les mêmes que deux jours avant, alors que Bridget empêchait Jean de se rendre à Saint-Denis. Depuis le départ de Witherall, les dangers étaient infiniment moindres. Saint-Denis était tranquille comme Saint-Charles. Depuis la défaite des réformistes dans la journée du 25, le gouvernement temporisait. Il y avait même lieu de s'étonner qu'il ne cherchât point à compléter sa victoire en lançant ses colonnes contre les vainqueurs du 23. Sir John Colborne n'était point homme à reculer, cependant, devant les représailles que provoquerait un retour offensif, et le colonel Gore devait avoir hâte de venger sa défaite.

Quoi qu'il en soit, à Saint-Charles et, par conséquent, à Maison-Close, on n'entendit parler de rien. La confiance était quelque peu revenue aux habitants de la bourgade. Après s'être dispersés au loin, la plupart avaient réintégré leurs maisons, et travaillaient déjà à réparer les désastres de l'incendie et du pillage. Dans les rares sorties que faisait Bridget, si elle n'interrogeait pas, elle écoutait, puis, elle tenait au courant M. et Mlle de Vaudreuil. Aucune grave nouvelle ne circulait dans le pays, aucune menaçante approche n'était signalée sur la route de Montréal.

Durant les trois jours qui suivirent, cette tranquillité ne fut troublée, ni dans le comté de Saint-Hyacinthe, ni dans les comtés voisins. Le gouvernement considérait-il la rébellion comme définitivement enrayée par l'écrasement de Saint-Charles? On pouvait le croire. Songeait-il seulement à poursuivre les chefs de l'opposition, qui avaient donné le signal de la révolte? C'était assez probable. Mais, ce que personne n'aurait pu admettre, c'était que les réformistes eussent renoncé à continuer la lutte, qu'ils se reconnussent définitivement vaincus, qu'il ne leur restât plus qu'à se soumettre! Non! Et à Maison-Close comme en tout le Canada, on s'attendait à quelque nouvelle prise d'armes.

L'état de M. de Vaudreuil ne cessait de s'améliorer, grâce aux soins de Bridget et de Clary. Si sa faiblesse était toujours grande, la cicatrisation de la blessure commençait à se faire. Par malheur, la convalescence serait longue, et l'époque était encore éloignée à laquelle M. de Vaudreuil serait assez rétabli pour quitter son lit. Vers la fin du troisième jour, il put prendre un peu de nourriture. La fièvre, qui le dévorait au début, avait disparu presque entièrement. Il n'y avait plus rien de grave à redouter, si aucune complication ne se produisait.

En ces longues heures inoccupées, Bridget et Clary, assises au chevet de M. de Vaudreuil, lui rapportaient tout ce qui se disait au dehors. Le nom de Jean revenait incessamment dans leur conversation. Avait-il pu rejoindre ses compagnons à Saint-Denis? Laisserait-il sans nouvelles les hôtes de Maison-Close?

Et, tandis que Clary restait muette, les yeux baissés, sa pensée au loin, M. de Vaudreuil s'abandonnait à faire l'éloge du jeune patriote, qui symbolisait la cause nationale. Oui! Mme Bridget devait être fière d'avoir un tel fils!

Bridget, courbant la tête, ne répondait pas, ou, si elle répondait, c'était pour dire que Jean n'avait fait que son devoir, rien de plus.

On ne sera pas surpris que Clary eût ressenti une vive amitié, presque un amour filial pour Bridget, ni que son cœur se fût étroitement uni au sien. Il lui paraissait naturel de l'appeler "ma mère!". Et pourtant, lorsqu'elle voulait lui prendre les mains, il semblait que Bridget cherchait à les retirer. Quand Clary embrassait Bridget, Bridget détournait brusquement la tête. Qu'y avait-il dont la jeune fille ne pouvait se rendre compte? Ce qu'elle eût voulu connaître, c'était le passé de cette famille qui n'avait même plus de nom! Mais Bridget restait impénétrable à ce sujet. La situation de ces deux femmes était donc celle-ci: d'un côté, abandon et affection quasi-filiale; de l'autre, extrême réserve, et parfois éloignement inexplicable de la vieille mère pour la jeune fille.

Dans la soirée du 2 décembre, Saint-Charles fut alarmé par quelques nouvelles inquiétantes, - si inquiétantes même que Bridget, qui les avait recueillies de part et d'autre dans la bourgade, ne voulut point les faire connaître à M. de Vaudreuil. Clary l'approuva, car il était inutile de troubler le calme dont son père avait si grand besoin encore.

Ce que l'on disait, c'était que les royaux venaient de battre à nouveau les patriotes.

En effet, le gouvernement n'avait pas voulu se contenter d'avoir vaincu l'insurrection à Saint-Charles. Il lui fallait encore venger l'échec que le colonel Gore avait subi à Saint-Denis. S'il y réussissait, il n'aurait plus rien à craindre des réformistes, traqués par les agents de Gilbert Argall, et réduits à se disperser à travers les paroisses du district. Il ne resterait plus qu'à frapper de peines terribles les chefs du parti insurrectionnel, détenus dans les prison de Québec et de Montréal.

Deux pièces de canon, cinq compagnies d'infanterie, un escadron de cavalerie, avaient été mis sous les ordres du colonel Gore, qui était parti avec ces forces, très supérieures à celles des patriotes, et était arrivé à Saint-Denis dans la journée du 1er décembre.

La nouvelle de cette expédition, vaguement répandue d'abord, était parvenue le soir même à Saint-Charles. Quelques habitants, qui revenaient des champs, ne tardèrent pas à les confirmer. C'est dans ces conditions que Bridget en fut instruite, et, tout en les cachant à M. de Vaudreuil, elle n'avait pas hésité à les communiquer à Clary.

On imagine aisément ce que dut être l'inquiétude, ce que furent les angoisses de ces deux femmes.

C'était à Saint-Denis que Jean avait été retrouver ses compagnons d'armes, afin de réorganiser l'insurrection. Seraient-ils assez nombreux, assez bien armées, pour résister aux royaux, ce n'était pas probable. Et alors, les loyalistes, une fois entrés dans la voie des représailles, ne les poursuivraient-ils pas à outrance? N'en viendraient-ils pas à opérer des perquisitions dans les bourgades et les villages des comtés plus particulièrement compromis lors du dernier soulèvement? Saint-Charles, spécialement, ne serait-il pas soumis à des mesures de police, dont les conséquences pourraient être si graves? Le mystère de Maison-Close ne serait-il pas enfin pénétré? Que deviendrait alors M. de Vaudreuil, cloué sur son lit, et qu'il était impossible de transporter au delà de la frontière?

Dans quelles transes Bridget et Clary passèrent cette soirée! Déjà arrivaient des nouvelles de Saint-Denis, et elles étaient désespérantes.

En effet, le colonel Gore avait trouvé la bourgade abandonnée de ses défenseurs. Devant les chances d'une lutte si inégale, ceux-ci s'étaient décidés à battre en retraite. Quant aux habitants, ils avaient quitté leurs maisons, se sauvant au milieu des bois, traversant le Richelieu, cherchant un abri dans les paroisses voisines. Et alors, ce qui s'était passé, lorsque Saint-Denis avait été livré aux excès des soldats, si les fugitifs ne le savaient pas, il n'était que trop facile de l'imaginer.

La nuit venue, Bridget et Clary vinrent au chevet de M. de Vaudreuil. À diverses reprises, il fallut lui expliquer pourquoi les rues de Saint-Charles, si paisibles depuis quelques jours, s'emplissaient de rumeurs. Clary s'ingéniait à donner à ces bruits une cause qui ne pût alarmer son père. Puis, sa pensée se reportant au delà, elle se demandait si la cause de l'indépendance n'avait pas reçu un dernier coup dont elle ne pourrait se relever, si Jean et ses compagnons n'avaient pas été forcés de reculer jusqu'à la frontière, si quelques-uns d'entre eux n'étaient pas tombés au pouvoir des royaux... Et lui, Jean, avait-il pu s'enfuir? Ou plutôt, ne chercherait-il pas à regagner Maison-Close?

Clary en avait le pressentiment, et, alors, il serait impossible de cacher à M. de Vaudreuil la défaite des patriotes.

Peut-être Bridget le craignait-elle aussi? Et, toutes deux, absorbées dans la même pensée, se comprenant sans échanger une parole, restaient silencieuses.

Vers onze heures et demie, trois coups furent frappés à la porte de Maison-Close.

"Lui!" s'écria la jeune fille.

Bridget avait reconnu le signal. C'était bien un de ses fils, qui était là.

Elle eut alors l'idée que ce devait être Joann qu'elle n'avait pas revu depuis plus de deux mois. Mais Clary ne s'y était pas trompée, et répétait:

"C'est lui!... lui... Jean!"

Dès que la porte eut été ouverte, Jean parut et franchit rapidement le seuil.

 

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