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Craig se trouvait aux prises avec de sérieuses difficultés; la Chambre d'Assemblée qu'il avait dissoute à l'automne de 1809, lui était revenue à peu près la même et toujours aussi décidée à défendre ses privilèges. Le 1er mai 1810, Craig envoie au Secrétaire d'État, lord Liverpool, un long rapport sur l'état des affaires: les Canadiens, écrit-il, ne nous seront jamais unis, le clergé sera toujours notre ennemi; il n'y a rien à attendre de la Chambre d'Assemblée aussi longtemps que la majorité française ne sera pas étouffée. Craig propose donc l'abolition de la constitution, l'union des deux Canadas et l'anglicisation générale. Heureusement, lord Liverpool rejeta ces propositions et traça à Craig un programme d'action beaucoup plus libéral et conciliant. La lettre de Craig se trouve dans lesDOCUMENTs constitutionnels, 1791-1818, pp. 392-405. Lire Chapais, Cours d'histoire, vol II, pp. 205-234; Caron, La colonisation de la province de Québec, 1791-1815, pp. 189-210. ---------------------------- [...] De ces 250,000 âmes, 20,000 ou 25,000 sont d'origine anglaise ou américaine, et le reste de cette population est français. Je me sers du mot français intentionnellement, milord, parce que je veux dire que par la langue, la religion, l'attachement et les coutumes, il est complètement français, qu'il ne nous est attaché par aucun autre lien que par un gouvernement commun; et que, au contraire, il nourrit à notre égard des sentiments de méfiance, de jalousie et d'envie, et je n'irais pas trop loin en ajoutant des sentiments de haine [...] Les basses classes de la population se servent du mot Anglais pour mieux exprimer leur mépris, tandis que les gens au-dessus du vulgaire avec lesquels il se faisait autrefois un échange de civilités sociales, se sont complètement éloignés depuis quelque temps [...] L'acte de la quatorzième année de Sa Majesté, qui accorde aux Canadiens le libre exercice de la religion catholique romaine, contient la condition formelle que cet exercice sera sujet à la suprématie royale comme l'établit l'acte de la première année d'Élizabeth. On ne s'est conformé ni à ce point ni à un seul article des instructions de Sa Majesté aux gouverneurs [...] L'évêque, bien qu'il ne soit pas reconnu par notre constitution et qu'il soit approuvé sinon nommé par un pouvoir étranger, n'en a pas moins exercé toute juridiction inhérente aux fonctions épiscopales. Il distribue tous les bénéfices de la province, transfert à son gré quelqu'un d'un endroit à un autre [...] L'évêque est tellement pénétré de son indépendance et il évite avec un si grand soin tout acte qui pourrait être interprété comme un aveu du droit de Sa Majesté, que si une proclamation est lancée décrétant un jeûne ou des actions de grâces ou autre chose, qui implique la participation de l'Église, il ne s'y conforme pas comme à un ordre venant du roi, mais il publie alors dans le même sens un mandement en son nom, mais sans y faire la moindre allusion à l'autorité de Sa Majesté ou à la proclamation que le gouvernement a lancée, En vérité, l'évêque catholique, bien qu'il ne soit pas reconnu, exerce aujourd'hui une autorité beaucoup plus grande qu'au temps du gouvernement français, parce qu'il s'est arrogé tout le pouvoir que possédait alors la couronne [...] 173 La Chambre n'a jamais été remplie comme elle l'est aujourd'hui (je parle de la portion canadienne de la représentation), d'avocats, de notaires, de boutiquiers et d'habitants ordinaire comme on les appelle, c'est-à-dire de cultivateurs des plus ignorants dont quelques-uns ne savent ni lire ni écrire. Dans ce dernier parlement, il s'en est trouvé deux qui n'ont pu que faire leurs marques sur le registre en guise de signature, tandis que les signatures de cinq autres étaient à peine lisibles et dénotaient que ceux-ci ne pouvaient rien faire de plus en fait d'écriture [...] votre Seigneurie se rend compte que, dans une assemblée comme celle que je viens de décrire, le gouvernement ne puisse exercer aucun influence. C'est certainement l'assemblée la plus indépendante qui existe dans n'importe quel gouvernement connu au monde, car un gouverneur ne peut même compter sur l'influence qu'il pourrait retirer des relations personnelles. Je ne puis avoir de rapports avec les forgerons, les meuniers et les boutiquiers. Quant aux avocats et aux notaires qui forment une portion si considérable de la Chambre, je ne les rencontre que durant les sessions du parlement, alors que j'ai un jour de la semaine expressément désigné pour inviter une partie considérable des représentants à dîner [...] Le grand véhicule de communications entre les chefs et le peuple a été une feuille appelée Le Canadien qui a été publiée et répandue activement dans le pays durant les trois ou quatre dernières années. Le but avoué de cette feuille a été de vilipender et d'avilir les officiers du gouvernement en les traitant de Gens en place pour attirer le mépris sur le gouvernement de S Majesté lui-même en faisant allusion à l'existence supposée d'un Ministère dont la conduite se trouvait aussi exposée à leur censure que l'est celle des ministres de Sa Majesté en Angleterre. Toutes les nouvelles propres à égarer et à soulever le peuple ont tour à tour été publiées dans les colonnes de cette feuille; rien n'a été omis [...] Et comme pour inspirer la confiance avec laquelle il peut être nécessaire d'affirmer leurs droits quand l'occasion l'exigera, plusieurs membres ont été employés à faire le récit des guerres de 47 et 56 dans lesquelles les prouesses des Canadiens ont brillé à un si haut degré, et à énumérer avec emphase les avantages et les victoires de ces derniers. 174 Il est à peine nécessaire d'ajouter que l'histoire, en cette occurrence, était entachée de partialité et d'exagération [..] en vérité, il semble que ce soit leur désir d'être considérés comme formant une nation séparée. La Nation canadienne est leur expression constante et quant à cette considération qu'ils ont été jusqu'à présent de paisibles et fidèles sujets, il suffit de faire remarquer à cet égard qu'il ne s'est produit aucun événement pour les encourager à se montrer autrement [...] Le premier remède et le plus évident auquel il faille avoir recours, consiste à leur enlever la constitution (c'est le mot dont ils se servent), c'est-à-dire la partie représentative du gouvernement qui, c'est indiscutable, leur a été accordée prématurément. Ils n'y étaient préparés ni par leurs habitudes, no par leurs connaissances, ni par leur assimilation au gouvernement de l'Angleterre [...] Après cette importante mesure que l'on considère en général comme moyen extrême, je dois faire mention de la réunion des deux provinces pour contre-balancer l'influence du parti canadien dans la Chambre. J'avoue que je doute du succès de cette mesure [...] Il a été proposé de diviser encore une fois la province et de former de nouveaux comtés dans cette partie que l'on désigne aujourd'hui sous le nom général de townships; ces comtés pourraient élire des représentants qui permettraient de contrebalancer l'influence du parti canadien. Ce moyen me paraît plus praticable que la réunion proposée des provinces [...]
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