Prison de Montréal, 14 février 1839. Mon cher baron,
Dans quelques heures, tout sera dit pour moi dans ce monde, nous venons de nous séparer. J'ai reçu ton dernier baiser de frère et d'ami et l'envie de bavarder me tient encore. Causons donc.
" C'est une chose vraiment plaisante que la manière d'agir de ceux qui se croient les maîtres du pays. L'on vient de me dire que les officiers de service à la prison, en nous trouvant à table ont fait grand cas de mon courage. Cela ne m'étonne pas, car c'est un champ de bataille sur lequel ces messieurs les Anglais aiment mieux tomber, que retraiter. Mais cependant il faut leur rendre justice; les volontaires loyaux ont encore sur eux un grand avantage; à la même valeur ils joignent un talent de première force en narration. Je te renverrai pour les preuves à la magnifique histoire de la bataille d'Odelltown pour le lieutenant-colonel Taylor. Il faut un vrai toupet de volontaire pour oser mentir si agréablement; ils ont la réputation de forfanteurs dans ce régiment-là, Mr. Taylor y mérite mieux que le grade de colonel.
Il est plaisant de l'entendre raconter de quelle manière ses frères soldats se sont acquittés de leur devoir; ce cher colonel a fait un beau rêve et les charges brillantes de ses hommes n'ont pas usé leurs souliers. Nous sommes partis de Napierville cinq à six cents, et comme il est probable qu'il est doué de la double vue, il en compte neuf à onze cents. Quelques hommes seulement sont bravement sortis de leur maison de pierre, et je certifie que le seul McAllister s'est exposé parmi toute cette armée d'officiers; lui et cinq de ses gens ont appris à leurs dépens qu'il y avait aussi des hommes parmi les Canadiens. C'est vraiment honteux pour un homme d'oser se vanter à si peu de frais. "
En définitive, la masse des volontaires n'est qu'un composé de meurt-de-faim, qui crient " vive la reine, " parce qu'il faut qu'ils mangent.
Montrez-vous, Canadiens, et ces êtres-là rentreront sous terre.
Je serais curieux de voir aux trousses de tous ces gueux-là quelques centaines de ces hommes de cœur, comme nous en connaissons et comme il y en a tant en ce pays; oh! qu'ils veuillent donc une fois et tout ira bien.
Je ne puis écrire, mes pensées se multiplient et ne peuvent s'accorder. Ce que je puis dire seulement, c'est que demain matin nous devons servir de spectacle à ces gredins-là et que j'ai bonne envie de leur rire au nez.
Je meurs content et j'emporte la douce satisfaction d'avoir fait ce que j'ai pu. L'on me prend pour servir d'exemple, dit-on, je le souhaite; que chaque étranger y apporte autant de bonne volonté que moi, et les pendeurs seront les pendus, chacun son tour; c'est juste!
Baron, si jamais il te tombe sous la main un de ces habits rouges, fais lui prendre le même chemin, afin qu'il m'apporte de tes nouvelles; mais souviens-toi que je suis général et qu'il me faut quelque chose de bien, au moins un colonel, sans cela, je te le renvoie.
À force de dire des bêtises, on se lasse; il est minuit, et à neuf heures il faut partir, adieu! Je sais qu'il te fallait une lettre sérieuse; mais à l'impossible nul n'est tenu; je ne puis; la soirée a été trop orageuse.
Déchire tout cela et n'en parle plus. Je me réveille et recommence avec l'espoir de mieux faire.
CHS HINDELANG.
Source: Les Patriotes 1837-1838 de Laurent Oliver David, P 284, 285, J Frenette Éditeur Inc. 1981.