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Les Patriotes de 1837@1838 - 1774 - L'Acte de Québec
 ANALYSE 
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1774 - L'Acte de Québec
Article diffusé depuis le 10 mars 2000
 




Cette loi constitutionnelle britannique, formulée par le gouverneur sir Guy Carleton, visait avant tout à solidifier le gouvernement de la Province de Québec dans l'Amérique septentrionale [Brown Foulds, 1987 : 12]. Annulant la Proclamation royale, l'Acte de Québec devait en outre corriger les difficultés et les lenteurs caractérisant depuis 1763 l'administration britannique en Amérique du Nord [Wynn, 1990 : 229]. Entré en vigueur le 1er mai 1775, il reçut la sanction royale le 22 juin 1774, au moment même où furent décidées les mesures marquant la répression du Boston Tea Party. Nous reviendrons d'ailleurs, en fin d'article, sur une étude de la perspective américaine de l'Acte de Québec. Le contexte canadien, qui nous intéresse au premier chef, laisse quant à lui voir une série de dispositions souvent favorables aux Canadiens français. La nouvelle constitution de la colonie accorde maintenant aux habitants non seulement un statut officiel pour leur langue et leur religion, mais les gratifie également d'une participation au gouvernement civil en plus de repousser considérablement les frontières de leur territoire. L'acte de 1774 dispense de plus les catholiques de la Province de prêter le très honnis serment du Test et, s'il remet à plus tard la création d'une chambre d'Assemblée et qu'il conserve la juridiction pénale anglaise, il n'en autorise pas moins la survie du droit civil français.

L'étude des dispositions composant l'Acte de Québec révèle cependant la poursuite d'objectifs qui viennent attester du caractère éminemment géostratégique de cette proclamation. De l'élargissement du territoire de la Province de Québec aux mesures concernant soit la religion, l'appareil juridique ou encore la hiérarchie politique, l'Acte de Québec, s'il se présente d'abord comme une série de concessions aux sujets canadiens-français de l'Empire britannique, propose autant de solutions à des problèmes coloniaux dépassant bien souvent le seul cadre de la Province de Québec. Les nouvelles frontières données à la Province, englobant le Labrador, l'île d'Anticosti et les Îles de la Madeleine à l'est, la région des Grands Lacs, celle au nord de la rivière Ohio et la vallée de l'Illinois à l'ouest, en plus de ne lui opposer aucune limite au nord, illustrent bien cette constante. Si les Canadiens français ont certes pu trouver avantageux de voir les cadres de la minuscule Province de Québec de 1763 éclater sous la pression des intérêts de l'Empire britannique, ce dernier s'assurait cependant une bonne part des bénéfices de l'opération. Un tel élargissement du territoire canadien-français permettait ainsi à la Couronne britannique de soumettre l'ensemble de ces régions à la juridiction civile du gouvernement de la Province de Québec, manœuvre toute désignée pour contrer les pratiques douteuses des marchands de fourrures américains et garantir ainsi la souveraineté de la Couronne sur ces territoires. Les dispositions territoriales de l'Acte de Québec se présentaient également comme la solution de rechange toute désignée au coûteux programme de contrôle impérial conçu par lord Halifax, tout comme elles représentaient une clé pour favoriser l'établissement de relations pacifiques avec les Amérindiens, ces derniers se montrant de plus en plus sensibles aux pressions expansionnistes des Américains.

D'autre part, sur le plan religieux, la liberté de culte, le rétablissement formel de la dîme et la levée du serment du Test en faveur d'un nouveau serment exempt de références religieuses se voulaient pour le pouvoir britannique le moyen de se conserver la colonie en se garantissant la loyauté de Canadiens réputés très attachés à leur religion, mais surtout celle de leurs élites cléricales que le sens commun donnait comme très influentes au sein de leur communauté. Le volet juridique de l'Acte de Québec (maintien du régime seigneurial et naissance d'un système judiciaire hybride), s'il se veut avant tout un frein à l'expansion américaine dans une vallée de l'Ohio, maintenant soumise aux lois civiles françaises, représente de plus une assurance certaine pour la paix et la sécurité intérieure de la colonie canadienne. Bien que les lois criminelles anglaises aient donné pleine satisfaction depuis leur entrée en vigueur, il semble bien que les Britanniques aient voulu profiter de lois civiles françaises soi disant mieux adaptées au caractère des Canadiens pour s'assurer ainsi de leur docilité. La milice, institution basée sur la tenure seigneuriale, sera une autre de ces garanties de sécurité, alors que le maintien des Canadiens sous l'autorité seigneuriale deviendra, en autant que la Couronne s'assure d'un grand pouvoir sur les seigneurs, la base d'un ordre social à la fois sévèrement défini et favorable au pouvoir britannique.

Certaines mesures propres à l'appareil politique viennent compléter l'éventail des dispositions stratégiques de l'Acte de Québec. Si la nouvelle constitution autorise l'accès de Canadiens français à un Conseil législatif, de 17 à 23 membres chargés de conseiller le gouverneur de la colonie, notons surtout qu'elle tend à conserver un fort pouvoir discrétionnaire à la Couronne britannique en plus de reporter à un avenir incertain la création d'une chambre basse. Cette tentative de récupérer l'élite canadienne-française dans le but d'influencer le reste de la population vaudra aux Canadiens français sept des dix-neuf sièges du Conseil en 1775. La décision de ne pas autoriser la création d'une chambre d'Assemblée apparaît sage, du moins d'un point de vue britannique, lorsque l'on songe aux " dangers " de telles expériences démocratiques, illustrés à merveille par l'exemple américain, périls encore plus sensibles lorsque posés sur un ferment de dissensions entre des Britanniques minoritaires et des Canadiens, loin d'être reconnus comme des sujets dociles.

Si l'Acte de Québec, du moins à long terme, conserve comme objectif l'anglicisation des Canadiens d'origine française [Wynn, 1990 : 229], il demeure surtout, face à la poussée indépendantiste des colonies du sud, une série de généreuses concessions au peuple nouvellement conquis afin de renforcer le contrôle métropolitain sur l'ensemble de ses colonies d'Amérique du nord. Pour les Américains, l'Acte de Québec n'est d'ailleurs qu'une des cinq " lois intolérables " du printemps 1774, au même titre que la fermeture du port de Boston ou la soumission du Massachusetts à l'autorité unique de la Couronne britannique [Kaspi, 1986 : 97]. En plus de leur couper la route de l'Ouest, une telle législation paraissait inadmissible aux colons américains puisqu'elle bafouait non seulement les principes même du parlementarisme britannique en privant la Province de Québec d'une chambre basse, mais également l'ensemble des institutions métropolitaines en soumettant les vallées de l'Ohio et de l'Illinois à la tradition française catholique. Envisagé sous l'angle américain, l'Acte de Québec s'explique ainsi comme une savante manœuvre géopolitique d'un Empire voulant s'assurer la loyauté de ses sujets canadiens face aux velléités d'indépendance de ses treize colonies du Sud.

L'échec du pari colonial anglais de 1774-1775 dans une certaine mesure, mais davantage encore l'arrivée des Loyalistes à partir de 1783, viendront grandement bousculer le fragile pacte social implicitement contenu dans l'Acte de Québec et conduiront, moins de dix ans plus tard, à la sanction du très explosif Acte constitutionnel de 1791. Cette constitution opposera avec peu de succès la montée d'un principe démocratique à la résistance toujours farouche d'un principe aristocratique déclinant. Les Rébellions de 1837-1838 peuvent ainsi être comprises comme une tentative de résolution armée, par les classes sociales exclues du pacte de 1774, des vices de l'acte certes bancal de 1791. L'Acte constitutionnel aura donné à ces groupes sociaux les armes constitutionnelles que la législation de 1774 leur avait prudemment refusées. Fondamentalement induit par l'énervement révolutionnaire des Treize colonies, l'Acte de Québec perdra toute sa raison d'être lors de l'indépendance américaine, marquant ainsi la fin d'une parenthèse, plutôt favorable aux Canadiens, entre les constitutions plus " problématiques " de 1763 et 1791.

Jean-Nicolas Tétreault

Acte de Québec (1774) 14 George III, c. 83 (R.-U.), tiré du site internet LES ; PATRIOTES, 2000.; BROWN FOULDS, Nancy, " Acte de Québec ", tiré de L'Encyclopédie du Canada, tome I, Montréal, Stanké, (1985) 1987 : 12.; KASPI, André, Les Américains, I. Naissance et essor des États-Unis, 1607-1945, Paris,Seuil, coll. " PointsHistoire ", #H89, 1986 : 96 à 99.; WYNN, Graeme, " Aux confins de l'empire, 1760-1840 " tiré de Histoire générale du Canada, sous la dir. de Craig Brown, Montréal, Boréal Compact, (1987) 1990 : 229.

 

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