Le film de Michel Brault passe sous silence qu'il y a aussi eu des Patriotes d'expression anglaise dans la lutte contre la couronne britannique.Mary Soderstrom vient de publier Robert Nelson, le médecin rebelle, roman biographique, aux éditions de l'Hexagone. Le Devoir, 26 mars 1999."Un sapré bon cours d'histoire", écrivait Odile Tremblay à propos du film de Michel Brault Quand je serai parti... vous vivrez encore (Le Devoir, 14 mars 1999).
En effet, ce récit des rébellions de 1837-38, c'est tout à fait cela: captivant, émouvant et destiné à remplir partiellement ce qu'Odile Tremblay appelait "le grand trou noir de notre passé". Mais s'il rafraîchit bel et bien notre mémoire, le film passe sous silence une chose très importante. Une chose qui est à la fois un honneur pour la société québécoise et une leçon pour ceux qui lui accordent un bel avenir: le fait qu'il y ait eu des Patriotes d'expression anglaise dans la lutte contre la couronne britannique.
Le film de Brault raconte le drame personnel de François-Xavier Bouchard, qui avait quitté le pays après les premières batailles de la rébellion en novembre et décembre 1837. Au début du film, il rentre au Bas-Canada, prêt pour une nouvelle tentative de révolte, pour un combat supposément mieux organisé. Brault nous montre comment Bouchard et ses compagnons se battent contre la puissante force britannique. Il nous les montre déçus, même trahis par leurs alliés américains. Il nous les montre capturés et condamnés pour haute trahison. Et il nous montre l'exécution des douze martyrs patriotes.
François-Xavier est une création de Brault, mais il représente des milliers de Patriotes. Nous connaissons aujourd'hui les noms de plus de 2100 d'entre eux: Benjamin Tétreault dit Ducharme, cultivateur de Saint-Charles, par exemple, et Zéphryn Grenier, commerçant de Saint-Rémi.
Mais la liste inclut aussi William Dalton, cultivateur de Châteauguay, Hugh Ward, maçon de Sainte-Marie de Monnoir.. et les frères médecins Wolfred Nelson, de Saint-Denis, et Robert Nelson, de Montréal. Le premier commanda la seule victoire patriote, la bataille de Saint-Denis, au cours de laquelle un contingent de soldats britanniques battit en retraite. Le deuxième prit les rênes de la rébellion pendant les journées sombres de janvier et février 1838, quand les autres leaders patriotes étaient en prison ou se cachaient. Il était à la tête des forces d'invasion patriotes à l'automne 1838.
S'il y avait eu, à l'époque, des maisons de sondage comme Léger et Léger ou CROP, la plupart des francophones du Bas-Canada se seraient prononcés en faveur de la Rébellion et la plupart des anglophones, contre. Mais au sein des deux communautés, on est loin de l'unanimité.
Il faut aussi reconnaître le fait qu'il est très difficile de faire un film, un roman ou une pièce de théâtre avec de vrais personnages comme héros. Plus on en sait sur quelqu'un, plus on doit (et on veut) en faire un portrait détaillé, ce qui complique énormément la tâche de concilier les faits avec le besoin d'action dramatique. Je sais: j'ai passé des mois sur le problème en écrivant mon livre sur Robert Nelson. Mettre les vrais personnages à l'arrière-plan et donner l'avant-scène aux créations de leur imaginaire est la solution préférée de nombre de romanciers, dramaturges et cinéastes.
Et c'était la stratégie de Brault, il me semble. Chevalier de Lorimier (joué par un David Boutin qui ressemble beaucoup à un portrait esquissé de Lorimier par Jean-Jacques Girouard quand tous les deux étaient emprisonnés) est un des rares personnages authentiques à qui Brault accorde beaucoup d'attention. Louis-Joseph Papineau, héros mythique du Bas-Canada de la première moitié du XIXe siècle, ne figure par dans le film.
Par contre, nous y voyons sir John Colborne et lord Durham, les représentants de Victoria, la jeune reine (elle avait 19 ans à l'époque, le même âge qu'Amédée, fils de Papineau). Les seuls personnages sympathiques qui s'expriment en anglais sont irlandais: un jeune officier qui laisse s'échapper François-Xavier quand ce dernier essaye de rentrer au pays et l'avocat Lewis-Thomas Drummond, qui dit défendre les Patriotes en partie parce qu'il était contre l'impérialisme britannique.
Dommage que Brault ne fasse pas référence à l'autre avocat des Patriotes, Adolphe Hart. Fils d'Ezekial Hart (trois fois élu à l'Assemblée législative et trois fois exclu parce qu'il n'était pas chrétien), Adolphe Hart a travaillé assidûment avec Drummond pour défendre les Patriotes, raconte Robert Rumily dans sa biographie de Papineau. Dommage aussi qu'il n'y ait aucune mention des deux Nelson ni des 20 rebelles du Haut-Canada qui ont eux aussi été pendus.
Remplir notre "trou noir" historique, voilà un devoir important. Mais que nous soyons anglophones ou francophones, ce serait, il me semble, à notre péril si nous oubliions le courage des Patriotes des deux communautés linguistiques ou leur manière de faire cause commune. Après tout, les mots "justice", "équité" et "liberté" ont des équivalents en anglais aussi.