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Lorsqu’on parcourt les livres qui abordent le sujet des patriotes, il apparaît
qu’il y est peu de place consacrée à l'action des femmes. On peut de ce fait
concevoir qu’elles n’ont peut-être pas eu à s’impliquer avec conviction dans la
cause patriote ou que ces derniers laissaient peu de place aux femmes. Cela dit,
ce travail tentera de déterminer quelle place les femmes ont tenue au sein du
mouvement patriote et quelle a été la mentalité de ces derniers à l’égard de
leurs consœurs.
D’entrée de jeu, il semble que les Patriotes canadiens-français
entretenaient à l’égard de leurs femmes des pensées plutôt chauvines lorsqu’il
s’agissait de leur implication dans la sphère publique. C’est du moins ce
que défend l’historien Allan Green qui va jusqu’à parler de la république des
hommes. De plus, il semble que selon la logique dominante du XIXe siècle, les
femmes devaient être exclues de la politique. À ce propos, les nombreuses
injures dont a fait l’objet la jeune reine victoria peuvent peut-être témoigner
de la mentalité des Patriotes envers les femmes publiques. D’ailleurs, après le
couronnement de la jeune reine, il fut intéressant de constater que les attaques
dirigées contre la nouvelle reine comportaient des références à son sexe.
D’autre part, le Vindicator, un journal prônant la souveraineté
populaire, introduisit tôt la notion d’opposition entre le peuple et les femmes
dans une chronique qui décrivait un incident à propos d'une célébration sabotée
en l’honneur de la reine Victoria. Toutefois, cela ne crée pas de situation
exceptionnelle quand on pense que les journaux patriotes, autant modérés que
radicaux, ont toujours limité l’importance du rôle des femmes.
On serait donc en face d'une attitude plutôt défavorable de la société
canadienne-française envers les femmes, mais qu’en est-il de la place que doit
occuper la femme aux yeux des Patriotes? Tout d’abord, il faut considérer que
les Patriotes, imprégnés du discours républicain de l’époque, entretiennent
l’idée que la femme qui participe à la sphère publique nie son rôle domestique.
D’ailleurs, à l’instar des autres penseurs républicains des Temps modernes, il
apparaît que les patriotes canadiens associent leur vision du rôle de la femme à
travers trois principes : l’intérêt public, la pudeur et la modestie des femmes;
et le retrait des femmes de l’arène politique. Cela dit, cette vision de la
femme se lie tout à fait à celle qui est préconisée chez les révolutionnaires de
la fin du 18e et des débuts du 19e siècle. Ces penseurs, dont Rousseau, avaient
une forte propension à exclure la femme de la sphère publique renvoyant cette
dernière à la vie domestique. Les femmes, sans être pour autant considérées
comme des êtres inférieurs, étaient associées à la procréation, aux soins des
enfants et à la vie de famille. La vie publique, quant à elle, était réservée
aux hommes car les responsabilités citoyennes incombaient à ceux qui étaient
aptes à défendre la patrie sur un champ de bataille. Les acteurs de la
communauté bas-canadienne semblent donc partager les mêmes vues que leurs
contemporains révolutionnaires. Pour eux, une femme s’éloignant du foyer
négligeait de soutenir son époux ainsi que d’élever ses fils de façon à ce
qu’ils forment de futurs bons citoyens. Louis-Joseph Papineau démontrera bien
ces vues lorsqu’il étalera ses états d’âme à propos de l’indépendance de sa
femme. D’ailleurs, il indiquera sans réserve que les affaires publiques ne
concernent que les hommes. Une autre action qui traduit bien l’esprit des
députés bas canadiens à l’égard de la participation des femmes à la sphère
politique est l’événement de 1834 où les membres de l’assemblée tentent de
retirer le droit de vote aux femmes en considérant qu’il est anormal pour ces
dernières d’exercer ce droit. Considérant ces faits, on s’aperçoit que
l’orientation et les positions philosophiques du mouvement patriote en font un
mouvement essentiellement masculin. D’ailleurs, ce sont bien l’honneur et les
vertus masculines qui sont mis de l’avant dans les assemblées. Par conséquent,
n’étant pas sollicitées à prendre une place active au sein de la politique, il
apparaît que les femmes n’ont pas semblé s’enthousiasmer pour la cause patriote.
Il apparaît aussi qu’aucune femme patriote ne s’est démarquée au niveau du
combat ou de l’agitation politique. Par ailleurs, les sources de documentation
portant sur les rébellions de 1837-38 nous présentent plutôt quelques
agitatrices qui s’opposaient à la révolte des patriotes. De ces agitatrices, on
pourra penser à Hortense Globensky de Saint-Eustache qui s’engagea directement
dans le combat contre les patriotes. Une autre dissidente qui semble avoir créé
de la tension chez les patriotes est Rosalie Cherrier de Saint-Denis. En effet,
cette femme aurait été une cible de choix pour les hommes sexistes du village.
D’ailleurs, cette dernière avait plusieurs atouts pour agacer les patriotes.
D’une part, elle avait quitté son mari pour se lier à d’autres hommes, rejetant
ainsi les liens avec sa famille aux allégeances patriotes. D’autre part, elle
tint tête aux patriotes en arrachant des pancartes à l’assemblée et en affichant
ses convictions sur les problèmes de l’heure. Elle fut persécutée et elle ira
même jusqu’à tirer sur les manifestants. Finalement, les patriotes l’arrêteront.
Même si les femmes ont semblé généralement détachées des convictions
politiques de leur mari, il ne faut pas pour autant considérer qu’elles étaient
absentes ou indifférentes à la cause des patriotes. D’ailleurs, à ce propos,
Morache avance que même si leurs actions ont semblé sans éclat, plusieurs femmes
patriotes ont posé des gestes significatifs pour servir la cause patriote.
Néanmoins, c’est à la périphérie de l’action que se situent les femmes actives à
l’époque des patriotes. D’ailleurs, ces dernières assistaient en grand nombre
aux assemblées populaires de protestations en 1837. De plus, on peut aussi se
référer à l’association des dames patriotiques du comité des Deux-Montagnes où
elles déployaient de l’énergie à la réussite de la cause patriotique. Toutefois,
mis à part quelques exceptions, c’est dans le rôle de supporter que la plupart
des femmes participent à la rébellion. Cela dit, c’est bien dans ce monde
politique destiné aux hommes qu’il y eut une crise menant aux armes. De ce fait,
il était logique que les moyens utilisés par les femmes pour mener la lutte
soient différents. Mais ces femmes patriotes ont dû faire des sacrifices et
s’impliquer forcément, car, même si la crise concernait la sphère publique, elle
se répercutait aussi dans la sphère privée, cette crise n’a donc pas épargné les
femmes.
Aussi, avec l’agitation qui régnait au Bas-Canada, à cette époque, il y eut
aussi des contre-courants et des opportunités d’introduire un statut plus
important pour la femme à travers le discours républicain des patriotes, mais
ceux-ci, surtout les radicaux, n’ont pas démontré un intérêt particulier envers
le statut de la femme. D’ailleurs, on peut penser aux articles de La Minerve,
tribune à caractère nationaliste et républicain où Adéalïde (pseudonyme d’une
auteure) veut s’appuyer sur le nationalisme des patriotes pour faire reconnaître
l’égalité des sexes dans la sphère privée. Cette dernière ne remet pas en
question le rôle domestique de la femme; elle introduit la notion d’égalité des
sexes dans la sphère conjugale en invoquant les avantages de l’harmonie et de la
collaboration mutuelle entre hommes et femmes. Elle est aussi inquiète des
principes de la tradition anglaise touchant la communauté de biens à l’intérieur
de la vie familiale un thème qu’elle aborde dans ses lettres ouvertes. Malgré
tout, les affirmations d’Adélaïde ne trouvent pas d’échos chez les patriotes et
les radicaux apparaissent indifférents aux visions de l’égalité des sexes
qu’entretenues par Adélaïde. De plus, pour les patriotes, en ce qui concerne le
régime de communauté de biens, ils vont avancer qu’il revient à l’homme
d’administrer, comme il l’entend, son bien. Cette situation démontre que les
radicaux n’ont pas d’intérêt pour les revendications d’ordre féminin. Néanmoins,
il y eut des moments où les patriotes ont jugé bon de revoir leurs positions
face au rôle de la femme. Pensons à la rébellion de 1837 où il devient important
que les patriotes rallient les femmes à leur cause. Lors de la crise, les
patriotes demandent une participation active des femmes en boycottant les
importations britanniques. On souhaite ainsi que les femmes s’impliquent dans un
rôle de productrice domestique afin de soutenir la cause politique. De plus, en
1837, toujours sous un angle anonyme stéréotypé, la presse radicale commence à
traiter des femmes - un changement certain - car elles étaient auparavant
complètement ignorées de cette tribune. Pensons au drapeau canadien,
confectionné par les dames Masson et Dumouchel. Il y eut aussi madame LaFontaine
qui fut l'une des premières à porter les étoffes canadiennes-françaises afin de
montrer l’exemple qu’il faut produire et consommer localement sans avoir recours
aux produits britanniques. D’autres femmes ont participé à l’armement en faisant
fondre des balles de fusil et en fabricant des cartouches de poudre.
Finalement, on peut constater que pour les patriotes les femmes avaient un
rôle non négligeable mais elles ne devaient pas prendre une place active sur la
scène politique. Demeure, même si la pensée des patriotes à l’égard de la femme
évolue pendant la crise, on remarque que l’univers social continue de revêtir un
caractère essentiellement masculin, même si plusieurs femmes se sont bien
impliquées dans la cause patriote et ont pu subir les effets de la répression
dans toute sa rigueur.
Patrice Belley
BIBLIOGRAPHIE
DUMONT, Micheline et al., Histoire des femmes au Québec : depuis quatre
siècles, Montréal, Le Jour, 1992, 618p.
GREER, Allan, Habitants et Patriotes, Québec, Boréal, 1997, 370p.
GREER, Allan. (Page consultée le 17 février 2010). La république des hommes :
Les Patriotes face aux femmes, Revue d’histoire de l’Amérique française,
vol.44, n°4, 1991, p.507-528, [En ligne]. Adresse URL :
http://id.erudit.org/iderudit/304922ar
REEVES-MORACHE, Marcelle. (Page consultée le 17 février 2010). La canadienne
pendant les troubles de 1837-1838, Revue d’histoire de l’Amérique française,
vol.5, n°1, 1951, p.99-117, [En ligne]. Adresse URL :
http://id.erudit.org/iderudit/80168ar
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