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Mgr Ignace Bourget (1799-1885)
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La première décennie qui suit les rébellions est une période de changements.
Nous nous concentrerons ici sur les nouvelles idées politiques, l’influence
grandissante du clergé catholique dans la vie sociale et politique.
Durant les rébellions, Mgr Lartigue, premier évêque de Montréal et son
coadjuteur, Ignace Bourget, participent activement aux diverses phases des
événements. Lartigue voit alors l’Église comme une hiérarchie antidémocratique
et soumise à l’autorité du pape, ce qui mine un peu ses relations avec le
pouvoir politique (VOISINE, 1984 : 14). Suite au décès de l’évêque de Montréal,
en 1840, Bourget prend sa relève à la tête du diocèse. C’est une tâche qu’il
connaît bien puisqu’il est le secrétaire de Mgr Lartigue depuis 1821.
Au plan de l’éducation, la période allant de 1826 à 1836, est caractérisée par
ce qu’on nomme la querelle à propos des Écoles de Syndic. L’État se dote ainsi
d’un système d’éducation public pour pallier à l’analphabétisme mais qui
inquiète le clergé à propos de l’ingérence des laîcs dans l’éducation des
Chrétiens. C’est tout d’abord la bourgeoisie anglophone qui fait des pressions
sur la Grande-Bretagne pour établir ce système public et gratuit parce qu’elle
est fatiguée d’envoyer ses ouailles s’instruire à l’étranger et qu’elle est
consciente de l’importance de l’éducation afin de produire une main-d’œuvre
qualifiée. Ainsi, le plan établit comprend une école primaire et secondaire dans
chaque paroisse ou canton et l’implantation d’une université en Québec, ce qui
encore une fois, fait craindre le pire à l’évêque catholique québécois, Mgr
Hubert, pour le salut de l’âme de ses fidèles et craint que l’instruction mène
ses brebis sur un chemin contraire à la foi et la morale catholique. (DUFOUR,
1996 : 36) La loi de 1829, sur les écoles de syndics mène à plusieurs autres
lois et on perfectionne toujours le système suite aux pressions répétées des
parents. En 1836, la loi sur les écoles de syndic n’est pas renouvelée, ce qui a
pour conséquence l’arrêt des subventions du gouvernement. Ainsi, la
collaboration entre paroissiens est mise à profit car les quelques écoles qui
peuvent rester en fonction « le doivent surtout aux contributions financières
des parents ou de l’ensemble des paroissiens et des citoyens. » (DUFOUR, 1996 :
93). Malgré les plaintes répétées des parents pour le rétablissement des Écoles
de syndic, le surintendant Charles Buller propose en 1838 un nouveau plan
d’éducation pour le Canada-Uni et visant à fonder de nouvelles écoles où
anglophones et francophones seraient éduqués ensembles, « afin de permettre
l’harmonie et la compréhension mutuelle et, à plus long terme, l’anglicisation
des Canadiens-français. » (DUFOUR, 1996 : 97) Le désir d’assimilation des
canadiens-français est toujours un enjeu politique. De plus, ce plan inclut la
collaboration financière des parents et des propriétaires terriens, par le biais
d’une taxe scolaire, pour éviter au gouvernement d’assumer les frais d’un tel
système d’éducation. Le mode de financement proposé suscite le mécontentement
général du clergé, tant protestant que catholique qui voit d’un mauvais oeil de
laisser l’éducation aux mains de l’État. (DUFOUR, 1996 : 99).
Simultanément, on observe en Europe, notamment en France et en Italie, des
mouvements similaires et l’implantation de l’ultramontanisme. Ce n’est qu’à
partir des années 1840 que l’ultramontanisme arrive au Québec. Les journaux
cléricaux québécois portent une attention particulière à ce qui se passe en
Europe. L’évêque de Montréal restructure alors l’Église et accroît son ascendant
sur ses concitoyens. Afin de résorber le sentiment d’abandon des membres du
clergé, Mgr Bourget entreprend de faire venir des communautés religieuses
d’Europe pour pallier le manque d’ « effectif cléricaux » et entretient une
correspondance officielle avec bon nombre d’entre elles. Mgr Bourget se rend
ainsi en Italie et en France chercher l’appui de ses homologues et recruter des
Congrégations pour les faire venir au Québec. La similitude est telle que Nadia
Eid affirme : « La lutte que se sont livrés mutuellement l’Église et l’État au
XIXe siècle, aussi bien en Europe qu’au Canada-français, n’a été en fait qu’une
transposition, au niveau des institutions, d’une opposition fondamentale entre
deux groupes sociaux aux intérêts divergents, soit le clergé, d’une part, et la
bourgeoisie, d’autre part. » (EID, 1978 : 26)
D’abord méfiant Mgr Bourget face à l’alliance réformiste autour de
Louis-Hyppolite LaFontaine, Bourget, accorde finalement sa confiance à ce
dernier alors qu’il devient chef du gouvernement en 1842. Le clergé se voit
récompensé cette même année de sa patience puisque les congrégations religieuses
arrivent d’Europe, surtout de France. Selon Pierre Savard et Eid, l’implantation
de l’ultramontanisme est rendue possible par l’arrivée de ces congrégations
françaises, des liens renforcés avec Rome et par la popularité du nouveau Pape,
Pie-IX. (EID, 1978 : 31)
En parallèle, la petite bourgeoisie canadienne-française voit alors un avantage
à s’allier au clergé afin de consolider sa position face à la puissante
bourgeoisie britannique qui détient, elle, les cordons de la bourse. Le clergé
affirme son devoir de s’assurer d’une collaboration du peuple et donc, cherche
des appuis politiques auprès de la Petite Bourgeoisie Canadienne-françaiseMgr
Bourget, est sans doute « l’un des premiers leaders ecclésiastiques à saisir
l’importance de cette entreprise comme facteur d’intégration et de cohésion à la
fois idéologique et administrative au sein de la communauté religieuse
canadienne. » (EID, 1978 : 32) La loi sur l’instruction publique est adoptée en
1841 et le surintendant Meilleur est élu en 1842 (VOISINE, 1984 : 29). Elle
apporte quelques modifications mineures à la proposition de Buller, pour
contenter les opposants. Cependant, les conclusions sont peu prometteuses : peu
d’écoles sont fondées et les réalités rurales locales empêchent souvent leur
construction et leur financement (DUFOUR, 1996 : 101). Le gouvernement adopte
donc en 1842 l’ « Acte pour l’établissement et le soutient des écoles communes »
dont l’implantation s’avère positive puisque le surintendant Meilleur note déjà
en 1843 un plus grand intérêt des parents pour l’éducation. (DUFOUR, 1996 :102)
En 1846, on abolit, suite à de multiples plaintes des commissaires, les Conseils
de districts municipaux. Ces plaintes sont d’ailleurs vivement condamnées par le
surintendant Meilleur, mais nous y reviendrons plus loin. L’Église gagne un peu
de terrain puisqu’on lui permet d’agir à titre de visiteur au sein de
l’instruction. La nouvelle loi permet plus de liberté quant au moment du
paiement de la cotisation scolaire, mais les gens qui ne paieraient pas cette
cotisation sont passibles d’être poursuivis en justice. Les plaintes sont
généralement le désir des plus riches qui entraînent les pauvres dans leurs
luttes contre les nouvelles lois, et c’est particulièrement cet aspect que le
surintendant déplore. Les moyens de pressions utilisés sont diverses, soit ils
retirent leurs enfants de l’école, soit ils refusent d’élire un commissaire ou
encore, ce qui fera pencher l’Église pour une taxe obligatoire, les gens ne
paient pas la contribution volontaire. (DUFOUR, 1996 : 110-111) Puis, une
nouvelle loi est adoptée, en juin 1846, de façon à satisfaire les opposants et
diminuer le mécontentement de la population. Désormais, les écoles sont
indépendantes des conseils municipaux, les seigneurs sont taxés
proportionnellement à leurs propriétés, cependant, une taxe obligatoire
augmentée est instaurée. Cet affront rend la population encore plus en colère.
(DUFOUR, 1996 : 113) Nous nous interrogeons sur l’intérêt que porte l’Église à
l’éducation, pourquoi cette institution veut absolument intervenir auprès des
jeunes gens? Eid explique que l’école est le lieu de la diffusion des idéologies
dominantes et que de cette façon, il est avantageux pour l’Église de garder le
contrôle sur l’enseignement dispensé, pour s’assurer de sa popularité. Mgr
Bourget a contribué grandement à l’affirmation des droits de l’Église sur les
paroisses, leur établissement, les écoles et les mariages, leurs refus et leurs
célébrations, et ce en dépit et indépendamment de l’État. (EID, 1978 : 37)
L’éducation devait servir d’abord à former de bons chrétiens et, de façon
secondaire, des êtres intelligents et instruits. (EID, 1978 : 201) La
laïcisation européenne gagne en popularité auprès des Rouges et déplait
grandement au clergé, qui voit s’écarter tranquillement son pouvoir sur le
peuple. Ces mêmes Rouges feront, en 1849, de l’abolition de la dîme, un enjeu
électoral. Cette situation placerait le clergé en état de crise économique et
fait craindre le pire aux autorités de l’Église.
Dès 1842, les Jésuites reviennent au Canada suite aux pressions de Mgr Bourget
auprès de la Congrégation en France. Les Congrégations des Oblats de
Marie-Immaculée, des Dames du Sacré-Cœur et les religieuses du Bon-Pasteur
d’Angers, répondent aussi à l’appel. Le clergé est invité à se « romaniser » et
à suivre la théologie de saint Alphonse de Liguori. (VOISINE, 1984 : 39) L’État
cherche à attirer les communautés religieuses pour se décharger du fardeau de
l’éducation et des malades, toutefois on demande l’appui des laïcs pour faire
vivre ces communautés. Sans le dévouement des communautés et des laïcs,
l’entreprise de Mgr Bourget ne serait pas ce qu’elle est. « De tous les
diocèses, ceux de Québec et de Montréal étaient les mieux avantagés en personnel
et en structures administratives. » (VOISINE, 1984 : 65)
Les rapports entre le « temporel » et le « spirituel » se détériore à compter de
1845. En effet la montée d’un groupe de jeunes libéraux autrement appelés les «
Rouges » effraie la hiérarchie religieuse. Face aux Rouges, rassérénés par le
retour d’exil de Papineau cette même année, qui affirme le rôle de l’éducation
et du libéralisme dans l’essor de la nation canadienne-française, le pouvoir
religieux rappelle que la nation se définit d’abord comme un groupe uni par sa
langue et sa religion communes. Il réaffirme l’engagement de la nation
canadienne-française auprès de la France, qui a montré le chemin de
l’évangélisation de la vallée du Saint-Laurent, mais aussi la fidélité au roi
d’Angleterre, qui est le souverain légitime sur cette même nation. (EID, 1978 :
231)
C’est en 1846 que Pie-IX entre en fonction, il est vu comme un souverain pontife
plus enclin aux nouveautés que son prédécesseur. Mgr Bourget se rend alors à
Rome pour demander l’établissement de la province ecclésiastique et recruter des
religieux qui voudraient le suivre à Montréal. Ses actions permettent entre
autre d’établir le diocèse de Toronto.
D’autres événements politiques se préparent durant les années qui suivent, Lord
Elgin est nommé gouverneur au Canada-Uni, en 1847 et l’année suivante, le
gouvernement Lafontaine-Baldwin fonde, sur le principe de la responsabilité
ministérielle, son propre conseil exécutif. (PROVENCHER, 2000 : 159-160) Suite à
la loi de juin 1846, des soulèvements populaires sont observés lorsque des
rumeurs laissent croire que le gouvernement n’a plus d’argent pour payer les
écoles au printemps 1848. (DUFOUR, 1996 : 116) Ces rumeurs conjuguées à
l’estompement du mythe Pie-IX provoque une radicalisation du mouvement
anticlérical des jeunes gens. Ce qui permet de faire craindre à Mgr Bourget, en
1849, que tous les éléments sont en place pour donner lieu à un retour des
motivations qui ont mené aux Rébellions de 1837-1838. (VOISINE, 1984 : 117)
Sujet qui est encore très présent à l’esprit du peuple, puisque la loi de
l’indemnisation des victimes de la rébellion est adoptée. C’est donc tout ce
contexte qui mènera à l’émeute de Montréal en 1849 qui ouvre la seconde moitié
du XIXe siècle.(PROVENCHER, 2000 : 160)
CONCLUSIONN
En résumé, nous avons ici tenté de représenter les différents événements qui ont
marqué la décennie qui suit les Rébellions de 1837-1838 et surtout leurs
conséquences sur ce qui se préparait. Les crises répétées du système d’éducation
gratuit et public, qui a de la difficulté à s’implanter, les changements
politiques, tant au niveau des idéologies qu’à celui des formes de gouvernement,
ainsi que la crainte constante du clergé catholique de se faire évincer et sa
romanisation ultramontaine ont permis la mise en place des éléments de l’émeute
de 1849. Tous ces événements sont non seulement la conséquence directe des
rébellions mais, aussi celle du rapport Durham qui est venu annuler les efforts
des canadiens-français pour se faire reconnaître comme une majorité ayant des
droits. Ainsi, même si nous ne connaissons pas encore toutes les motivations qui
ont mené aux rébellions, nous sommes en mesure d’affirmer que les luttes
idéologiques se sont poursuivies même après l’arrêt des hostilités militaires.
Nous pouvons donc conclure que le peuple canadien-français ne cherchait qu’à
s’émanciper tant au niveau politique, intellectuel que religieux et qu’il allait
y arriver par tous les moyens. Malgré tous les obstacles qu’ils ont rencontrés,
les Canadiens-français n’ont pas subi l’assimilation et ont fini par voir
reconnus certains de leurs droits. Il reste toutefois encore beaucoup à
accomplir pour permettre à ce peuple, qu’on a tant voulu angliciser, pour
s’affirmer pleinement. Mais que cette question appartient à un autre débat.
Caroline Roy-Blais
BIBLIOGRAPHIE
DUFOUR, Andrée. « Tous à l’école », État, communautés rurales et
scolarisation au Québec de 1826 à 1859, HMH, Cahiers du Québec, Collection
Psychopédagogie, 1996, Canada, 271 pages.
« Première Partie : Un nouveau réseau d’écoles publiques, 1826-1836 », pages 35
à 90.
« Deuxième Partie : Sous le signe de la résistance et de la contrainte,
1936-1849 », pages 91 à 166.
EID, Nadia F. Le clergé et le pouvoir politique au Québec, une ANALYSE
de l’idéologie ultramontaine au milieu du XIXe siècle, HMH, Cahiers du
Québec, Collection Histoire, 1978, Canada, 318 pages.
PROVENCHER, Jean. Chronologie du Québec 1534-2000, Un nouveau régime –
1760-1867, Boréal Compact, 2000, Canada, pages 111 à 170.
VOISINE, Nive. Histoire du catholicisme québécois, Les XVIIIe et
XIXe siècles, TOME 2, Réveil et consolidation (1840-1898), «
Première Partie : Le réveil religieux (1840-1870)», 1984, Canada, pages 13 à
200.
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