|
Un livre disponible aux édtions Varia http://www.varia.com/medias.asp
|
Lactance PAPINEAU Correspondance (1831-1857), Texte établi avec introduction
et notes par Renée Blanchet, Comeau & Nadeau, Montréal, 2000, 249 pages.
L’introduction de cette correspondance signée Renée Blanchet est en elle-même
une pièce d’anthologie de l’écriture historique consacrée aux Patriotes. En
quelque vingt pages, écrites serrées et combien lumineuses, en quelques tours de
main pour le lecteur, c’est toute l’histoire patriote qui foisonne sous ses yeux
tellement la vie de Lactance est un microcosme de toute l’affaire. L’auteur de
cette correspondance est un membre de la famille Papineau, ce qui implique que
son éducation, ses manières, sa morale sont celles de sa classe, de son milieu
et de sa culture. La famille Papineau, c’est Louis-Joseph, bien sûr, dont le nom
à lui seul fut «toute une époque» dira Louis-Fréchette, mais ce fut avant lui
son père, Joseph, le notaire et le chef politique qui dirigera le Parti canadien
(français) jusqu’à ce que son fils prenne le relais et dirige le Parti patriote.
Les Papineau, ils furent nombreux, suffisamment pour qu’on puisse dire les
«Papineau» comme on dit les Rougon-Macart, pratiquèrent l’écriture avec avidité.
Ce qu’ils ont pu noircir comme papier dépasse l’entendement et ce, pour notre
plus grand plaisir… Il y a eu des politiciens, des notaires, des journalistes,
des femmes très délurées, des enfants, bref ils ont écrit ! Leurs textes
rempliront des dizaines et des dizaines de rayons de bibliothèque lorsque leur
édition sera achevée, ce qui prendra encore des dizaines d’années. Il y a des
lettres, des articles, des essais, des journaux intimes, d’innombrables
commentaires politiques, des témoignages sur le quotidien, des conférences et
des ouvrages parmi les plus engagés de l’histoire parlementaire de notre peuple.
Il y a de tout et plus encore dans ces archives qui sont nos trésors. Renée
Blanchet a fait là une œuvre remarquable de pédagogie tout en faisant avancer le
savoir et les connaissances sur toute cette période. Sa connaissance de cette
époque et de ces documents relève du prodige. Puisons donc à pleines mains dans
cette source de connaissances que l’éditeur nous offre sous la plume éclairée de
ce Papineau et de sa présentatrice.
Lactance Papineau (1822-1862), c’est le fils de Louis-Joseph, le chef des
Patriotes de '37-’38. Il est mort bien jeune ce brillant jeune médecin qui a
reçu à Paris une formation médicale de la plus haute qualité dans les
circonstances que pouvaient être celles vécues, par le fils fragile d’un chef
national en exil et sans autre ressource que celle que lui procure encore son
nom, qui est synonyme d’indépendance et de liberté. C’est un peu la hasard qui
l’a conduit dans la Ville Lumière. Lactance ne devait pas accompagner ses
parents (père, mère, ses deux sœurs et un de ses frères) en Europe; il devait
vivre aux États-Unis chez des amis de son père dont plusieurs étaient de hauts
dignitaires américains. Le hic c’est que le généreux bienfaiteur est mort
immédiatement après le départ de sa famille pour le Havre et qu’il dût d’abord
se rendre à Londres, qu’il visita et où il rencontra, car il y en a eu, des
parlementaires anglais voués à la cause des Canadiens (français). Ses pages sur
la capitale de l’empire britannique révèlent un écrivain de grande valeur (il
n’a pas encore dix-huit ans). Ensuite, il se rend en France, il va rejoindre les
siens à Paris. Ce qui est heureux, c’est qu’il a beaucoup écrit sur toutes ses
aventures européennes. Un feu d’artifices de données animent son écriture. Ce
qu’il en a des choses à dire et à redire, toujours sans lasser le lecteur. Il
tenait une correspondance vivante comme les lettres privées en contiennent
généralement, il a aussi pris soin aussi d’écrire un journal que Renée Blanchet
a aussi travaillé et qui est publié aux Éditions Varia et sur lequel nous nous
penchons dans une autre compte rendu. Cette correspondance constitue une source
extraordinaire de renseignements sur l’histoire, la vie et les difficultés des
Patriotes, particulièrement ceux qui ont dû prendre le chemin de l’exil, aux
États-Unis et aussi en Europe. Ses notes sur la ville de Paris de ces années
1840 constituent à elles seules d’impérissables ambiances, notamment sur la vie
étudiante (y compris celles de quelques autres québécois de leurs connaissance.
Il y est naturellement souvent question de politique, ce qui jette un regard
singulier sur la conjoncture qui fut celle qui suivit immédiatement l’écrasement
de tout un mouvement national par un empire qui ne recula devant rien pour
éradiquer les aspirations naturelles du Canada-Français. Lactance ne porte pas
les Anglais dans son cœur bien qu’il sache reconnaître les quelques alliés qui
en sont. Il a vécu dans sa chair la répression. Comme bien d’autres, il restera
marqué de tous ces événements violents. Le séminaire de Saint-Hyacinthe avait
été réquisitionné par l’armée anglaise alors que les professeurs et les
étudiants habitaient la même maison… Et la fuite aux États etc.
C’est inouï tout ce qu’on peut apprendre sur toutes sortes de sujets en les
épîtres de Lactance. C’est comme un almanach, l’almanach d’un jeune et
prometteur patriote. Et c’est admirablement bien écrit, bien construit, avec le
rythme de son époque et un style parfois déconcertant de splendeur, certaines
pages sont éblouissantes. Il fait preuve d’une intelligence hors du commun, d’un
sérieux étonnant et à l’occasion aussi de scrupules troublants. Quel personnage
! Un drame humain que la vie de cet homme. Il ne devait pas être facile tout le
temps d’être le fils de Papineau, de vivre avec lui… Ce fils de Papineau est
scrupuleux question morale. Le quotidien des proches d’un monument est peuplé de
pressions souvent lourdes et encombrantes, ombrageuses et déstabilisatrices. Un
jour viendra où la vie de Lactance sera portée à l’écran et cette œuvre
cinématographique connaîtra une vif succès d’audience universelle car son
histoire est essentiellement dramatique; c’est du romantisme, c’est aussi du
naturalisme avant la lettre. Il y a à la fois des plongeons dans le drame et
aussi une espèce de fatalisme, comme si le malheur faisait la loi. Après tout,
les Papineau sont dans la dèche. Louis-Joseph est banni du Canada. Sa tête est
mise à prix. C’est le chef des Patriotes et il vit en exil tandis que ses
disciples, les cadres du mouvement, les militants qui ont pris les armes pour se
défendre contre la barbarie anglaise. Certains lui reprochent d’avoir fui.
D’autres affirment qu’il fallait qu’il parte. Son absence même pèse lourd dans
le désarroi après la tempête. À Paris, les choses ne sont pas simples non plus
pour lui et les siens. Ils sont sept avec la bonne. Le train de vie coûte cher.
L’argent n’arrive du Canada que parcimonieusement. En fait, ils vivent au jour
le jour et déménagent souvent.
Lactance veut se faire médecin mais il n’a pas d’argent pour payer ses études.
Il suivra donc des cours comme étudiant libre, ce qui lui assure une bonne
formation mais sans examens patentés. Il a appris des grand maîtres de la
médecine et de la science de son temps. En plus, il connaissait parfaitement la
langue anglaise ce qui le rendit précieux dans une France qui ignorait cette
langue et à laquelle il put traduire les maîtres anglais. Ces quelques francs,
il les dépense en bouquins qu’il achète sur les quais de la Seine où nous le
suivons pas à pas. Après des études solides et diversifiées, il reviendra à
Montréal où il sera reçu médecin. Sa fragilité le sollicita de nouveau et il
emprunta la route de la déraison. Il avait de ces mélancolies qui déchirent, il
pouvait devenir violent en paroles et en actes et cela datait de longtemps. Les
lettres le montrent parfois troublé, inquiet et fabulateur. Ce fut progressif,
mais lui qui enseignait à Mc Gill, dut cesser sa pratique et quitter sa chaire
universitaire de botanique. Ses parents l’envoyèrent en Europe, où il mourra
dans un délire mystique selon l’official et où sa dépouille mortelle fut mis en
terre, près de Lyon. Il avait quarante ans ! En fait de dénouement dramatique,
il y aurait sujet à tout un livre quand quelqu’un le fera. Si nous ne sommes pas
encore dans le sanctuaire d’une biographie, nous en sommes dans le portique qui
annoncent la suite des choses.
Quiconque parcourt attentivement cette correspondance et prends bien soin de
lire les annotations de Renée Blanchet, se fera une image claire et une idée
précise de ce qu’était l’état des lieux au temps des Patriotes. Ce mérite est
sans prix pour la gent qui aime l’histoire. C’est aussi un portrait et des bouts
de lettres de Julie Papineau qui sont présent partout dans les lettres de
Jactance ainsi que d’autres femmes membres de sa famille ou de l’entourage
patriotique. Ce petit bijou est serti de perles qui ne manqueront pas de
satisfaire celles et ceux qui liront ce bouquin qui devrait se retrouver dans
toutes les bibliothèques québécoises qu’elles soient privées ou publiques.
Gilles Rhéaume
| |