Le 28 février 1838, le Québec déclarait son indépendance Article diffusé depuis le
26 février 2016
Il y a 178 ans, le mercredi 28 février 1838, des Québécois proclamaient
l’indépendance de leur patrie et déclarait la république libre de tout lien avec
la Grande-Bretagne ou quelconque puissance étrangère. Ils engageaient ainsi
leurs biens et leur vie dans une cause qu’ils croyaient juste. Cet événement,
aujourd’hui sombré dans l’oubli, que ne commémore nulle plaque ni monument,
était pourtant porteur d’un message de liberté et d’émancipation précieux et pas
seulement pour les souverainistes contemporains.
Contexte historique
La rébellion de 1837 et les défaites subies à Saint-Charles et Saint-Eustache
eurent pour conséquence de pousser les chefs patriotes, dont Louis-Joseph
Papineau, à trouver asile aux États-Unis pour éviter les arrestations qui
touchaient alors des centaines de leurs concitoyens. Ils s’installent pour la
plupart autour du lac Champlain, dans les villes frontalières de Plattsburgh,
Champlain, Rouse’s Point et Alburg. Plusieurs nourrissent cependant le projet
d’une riposte avec l’appui du gouvernement américain. C’est donc une immense
déception pour eux quand le président démocrate Martin Van déclare en janvier
1838 la neutralité de son pays dans le présent conflit entre les patriotes du
Bas-Canada et le gouvernement britannique et que « Tout ceux qui compromettront
la neutralité du Gouvernement […] s’exposeront à être arrêtés et punis. » Suite
à cette annonce, Louis-Joseph Papineau sort de scène, considérant désormais le
combat perdu d’avance sans l’appui d’une puissance étrangère. D’autres
cependant, comme Robert Nelson, ancien député patriote de Montréal et frère de
Wolfred Nelson, héros de la bataille de Saint-Denis, souhaitent poursuivre la
lutte en tablant sur l’appui de simples citoyens américains, prêts à épauler les
patriotes dans leur efforts pour reverser le gouvernement anglais au Canada.
C’est dans ce but en particulier qu’on rédige une déclaration d’indépendance du
même style de celle signée à Philadelphie par les représentants des Treize
colonies en juillet 1776. On compte ainsi rallier des Américains aux idéaux de
leur propre révolution et les inciter à secourir leurs frères et leurs sœurs du
Bas-Canada. Le second objectif de cette déclaration est de rallier les paysans
francophones du Québec en répondant à un chapelet de récriminations répandues
dans la population.
On ignore si Robert Nelson en fut le seul auteur, même s’il en est le seul
signataire. Sans doute y ont aussi contribué ses principaux lieutenants :
Cyrille-Hector-Octave Coté, Lucien Gagnon et Thomas-François-Marie Chevalier De
Lorimier.
Pour être proclamée en territoire canadien, la déclaration sera faite lors
d’une expédition partie de Alburgh Spring (Vermont), le matin du 28 février
1838. Environ 300 Américains et patriotes exilés accompagnent Robert Nelson.
Selon les sources, ils se seraient aventurés à environ deux kilomètres en
territoire canadien, ce qui situerait l’événement à la rencontre du vieux chemin
Beeches Sud et du chemin Macfie (latitude 45.02 N, longitude 73.2 O),
aujourd’hui dans la municipalité de Clarenceville, mais à l’époque dans la
seigneurie de Noyan, autrement appelée « Caldell’s Manor » par les colons
loyalistes. Aucune plaque ni monument ne commémore l’événement, pourtant
hautement symbolique dans l’histoire du Canada et du Québec.
Une fois la déclaration lue par Nelson, la petite troupe retourne promptement
aux États-Unis. C’est que la nouvelle de l’incursion s’était rendue aux oreilles
des milices volontaires loyalistes de Phillipsburg et d’Odelltown. Fidèles au
gouvernement anglais, ces milices, armées et soldées par l’armée anglaises,
comptaient intercepter la troupe de Nelson.
Ironiquement, Nelson et ses hommes seront arrêtés sur le chemin du retour par
les autorités américaines pour avoir enfreint la neutralité américaine,
puisqu’ils portaient des armes. Cependant leur cause fut rapidement entendue et
tous furent déclarés innocents, preuve s’il en faut de l’importance de l’appui
de citoyens américains à la cause patriote, y compris au sein de la
magistrature. Les preuves de cet appui vont d’ailleurs être nombreuses durant
les années 1838 et 1839. Certains Américains vont fournir de l’argent et des
armes aux patriotes. D’autres vont même dévaliser pour eux l’arsenal de l’armée
américaine à Elizabethtown (NY). D’autres enfin se battront à leurs côtés,
notamment à Lacolle, en novembre 1838.
La déclaration d’indépendance sera lue une seconde fois, à Napierville, le 4
novembre suivant, lors du soulèvement des Frères chasseurs dirigés par le même
Robert Nelson. Le site de l’événement est rappelé par une plaque et un monument
au parc de la Pointe-des-Patriotes (latitude 45.2 N, longitude 73.4 O).
Analyse du contenu
Laconique, directe et foncièrement radicale, cette déclaration n’aura guère
d’influence sur le cours des événements, mais demeure jusqu’à nos jours le
témoignage transcendant de la modernité d’un certain discours patriote. D’entrée
de jeu, la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada proclame «Qu'à compter de ce
jour, le Peuple du Bas-Canada est absous de toute allégeance à la
Grande-Bretagne, et que toute connexion politique entre cette puissance et le
Bas-Canada cesse dès ce jour »; que le Bas-Canada « se déclare maintenant, de
fait, république.»
Autrement, la déclaration s’en prend à de vieux irritants, tels que la tenure
seigneuriale, l’emprisonnement pour dettes ou le monopole de la British American
Land Company. On cherche de la sorte à rallier à la cause patriote une
paysannerie moins sensible aux revendications politiques surtout mises de
l’avant par l’entourage de Papineau.
Ainsi, l’article déclarant que « Tous les individus jouiront des mêmes droits
» et que les Autochtones ne seront soumis à aucune discrimination pouvait
surprendre aux États-Unis où les Autochtones étaient particulièrement soumis et
persécutés. Dans le contexte de la lutte patriote il visait surtout à obtenir
l’appui ou sinon la neutralité des Amérindiens du Québec, particulièrement des
communautés iroquoises proches de la frontière.
De même, les articles prescrivant « Que toute personne aura le droit d'exercer
librement telle religion ou croyance qui lui sera dictée par sa conscience. » et
« Que la liberté d’expression et l’indépendance de la presse existera en toutes
les matières […] » sont dans la droite ligne de la Constitution américaine et se
retrouvent presque mot pour mot dans la plupart des grandes textes
révolutionnaires de l’époque.
En déclarant ensuite que « La tenure féodale ou seigneuriale des terres est
par la présente abolie, aussi complètement que si telle tenure n'est jamais
existé au Canada… », Robert Nelson et ses acolytes réglaient une question qui
jusque-là divisait les patriotes. En abolissant la tenure sans indemniser les
seigneurs, on comptait ainsi récolter l’appui massif des censitaires exploités
et endettés du Bas-Canada.
Les autres articles sont tout aussi intéressants. En déclarant « Que toute
personne qui prendra les armes ou qui donnera autrement de l'aide au Canada,
dans sa lutte pour l'émancipation, sera déchargée de toutes dettes ou
obligations ... » on cherchait à inciter le plus de gens possible à s’engager
dans la révolte. La déclaration d’indépendance prévoit également l’abolition de
la peine de mort sauf dans les cas d’homicide, l’abolition de l’emprisonnement
pour dettes, l’enregistrement obligatoire des hypothèques pour éviter la fraude
et la spéculation, la nationalisation des terres vierge ou de la couronne
l’éducation gratuite pour tous, le vote secret (on votait autrefois à main
levée) et le suffrage universel pour tous les hommes de 21 ans et plus.
Finalement, en proclamant « Que les langues française et anglaise seront en
usage dans toutes les affaires publiques… », on démontrait une ouverture
d’autant plus grande que l’entourage de Nelson était alors essentiellement
constitué de Canadiens français.
Nous ignorons si le texte fut largement diffusé. Il a certainement parcouru
le Bas-Canada par le biais d’émissaires chargés de recruter des volontaires en
vue du soulèvement armé prévu pour novembre suivant. Il est de nos jours
totalement tombé dans l’oubli. En 1838 et 1839 pourtant des milliers de
Québécois se sont engagés à le défendre et à le mettre en application. À
l’occasion de ce 178e anniversaire, une petite pensée pour ceux et celles qui :
« Pour l'accomplissement de cette déclaration, et pour le soutien de la cause
patriotique, nous engageons solennellement les uns envers les autres, nos vies
et nos fortunes et notre honneur le plus sacré. »
Recherche parmi 16 491 individus impliqués dans les rébellions de 1837-1838.
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26 février 2016
lebrun (20 octobre 2019) J'aimerais avoir une copie en PDF de la déclaration d'indépendance du 28 février 1838
lebrun (20 octobre 2019) J'aimerais avoir une copie en PDF de la déclaration d'indépendance du 28 février 1838
lebrun (20 octobre 2019) J'aimerais avoir une copie en PDF de la déclaration d'indépendance du 28 février 1838