L’exécution d’Armand dit Chartrand le 27 novembre 1837 est un événement assez singulier dans l’ensemble des troubles de 1837-1838. Un des incidents qui s’y apparente est l’exécution de l’officier John Weir lors des événements de Saint-Denis pour lequel le capitaine de milice François Jalbert subit un procès pour meurtre. Mais le contexte en était un tout autre que pour Chartrand.
N’eût été de l’habile plaidoyer de l’avocat Charles Mondelet qui assurait leur défense à ce procès, les accusés auraient certainement été condamnés pour meurtre. En situant l’exécution de Chartrand dans le contexte des batailles livrées à Saint-Denis, Saint-Charles et Saint-Eustache, et en revendiquant le même traitement pour les quatre accusés que celui des combattants Patriotes de ces trois batailles, il a convaincu le jury de la considérer comme un acte de guerre. Mais le jury, se rendant aux arguments de Mondelet, a provoqué la colère des bureaucrates, qui ne la voyaient pas ainsi.
Nous sommes le 27 novembre 1837. Depuis le début novembre, les choses se précipitent. Colborne avait fait émettre des mandats d’arrestation contre les principaux dirigeants Patriotes. Les batailles de Saint-Denis et Saint-Charles venaient de se dérouler. L’étau se resserrait et dans le secteur de Saint-Jean les arrestations se multipliaient. À Saint-Jean, la coalition Loyale est forte et la présence militaire importante. Plusieurs délateurs aident à l’identification des Patriotes. Armand dit Chartrand selon Filteau, était connu des Patriotes comme ex-sympathisant. Il changea de camp semble-il, devint délateur et collabora à plusieurs arrestations. « Les amis des captifs résolurent de le venger (Filteau, 2003, p.426).
Il est difficile de reconstituer le fil exact des événements du 27 novembre tant les témoignages semblent se contredire. Réal Fortin par exemple indique que Chartrand « exécutait des travaux de maçonneries sur une maison neuve entreprise par David Roy » (Fortin, 1988, p.38). Filteau de son côté indique plutôt que Chartrand s’était rendu chez David Roy « pour se faire payer une somme qui lui était due » (Filteau, 2003, p.426).
Il serait trop long de faire une lecture synoptique de chacun des témoignages pour faire ressortir le vrai du faux, mais on peut dégager du moins une trame commune du déroulement de la journée : un groupe de base d’une dizaine de Patriotes s’est rassemblé d’abord à l’auberge de Surprenant puis, à l’arrivée de quelques autres, recrutés dans L’Acadie surtout par René Garant se sont rendus chez Eloi Roy. Puis on les avertit du départ de Chartrand. « Flavie Mailloux vint et, sans s’adresser à personne, dit à la porte :’’le voilà qui s’en va, si vous voulez aller après,’’ » (Procès…, 1838, p.7). Puis sur ordre de François Nicolas, ils partirent intercepter Chartrand, l’amener près d’un boisé, et procédèrent à son exécution après un sommaire interrogatoire et une aussi sommaire condamnation. C’est Nicolas qui l’aurait accusé mais c’est Beaulieu et Garant qui semblent avoir commandé l’exécution. Puis Nicolas quitta seul les lieux et les autres se dispersèrent graduellement. L’ensemble des détails du reste de l’événement est différent selon les témoins.
Après enquête du coroner, six personnes furent accusés de meurtre : François Nicolas, Amable Daunais, les frères Pinsonneau, René Garant et un certain Beaulieu. Ces deux derniers ayant fui aux État-Unis, ils n’ont pas subi le procès.
La plupart des témoins ont affirmé s’être rendus sur le lieu du crime sous la contrainte et ne pas connaître Chartrand. Le passage où Flavie Mailloux vient les avertir du départ de Chartrand laisse à penser que le coup était planifié. Georges Aubin et Nicole Martin-Veranka ont bien décrit l’état d’esprit des Patriotes qui ont eu à témoigner par la suite, tant à l’enquête du coroner, qu’au procès ou lors des examens volontaires :
Tous ces pauvres diables prétendent n’avoir rien fait de très grave, accusent parfois un des leurs, quand ils savent qu’il est en fuite, avouent candidement avoir été entraînés par d’autres à marcher et sont presque tous, depuis toujours '’de loyaux sujets de Sa Majesté’’ (Aubin, Martin-Veranka, 2004, tome I, p.10).
Il n’est donc pas surprenant de constater dans ces examens volontaires, que même François Nicolas nie sa participation à l’exécution de Chartrand, affirmant même ne pas le connaître et termine sa déclaration en affirmant être « bien traité dans la prison » (Aubin, Martin-Veranka, 2004, Tome I, p.169). Le climat de crainte qui règne amène des comportements qui laissent perplexe.
Il est donc difficile de décoder les vrais motifs du rassemblement et si l’exécution de Chartrand fut organisé par deux ou trois personnes qui ont par la suite '’engagés’’ d’autres Patriotes dans l’opération où si c’est le hasard qui a fait se retrouver Chartrand et ce groupe de Patriotes au même endroit ce jour-là. Ce qui est vrai, c’est que ces rassemblements étaient courants particulièrement depuis les événements du début novembre et que la haute surveillance et la délation dont on a parlé prouvent qu’il y avait du mouvement dans l’air.
À propos du procès, il n’y a rien à ajouter quant au contenu des témoignages qui ne faisaient que tenter de reconstituer les faits alors que l’interrogatoire, surtout du côté de la couronne, ne visait que la recherche des preuves de culpabilité des quatre accusés. L’intérêt de la lecture du procès réside dans le plaidoyer de l’avocat de la défense Charles Mondelet. Faisant fi de toutes les contradictions possibles, admettant la responsabilité des accusés dans l’exécution de Chartrand fit la démonstration qu’il s’agissait d’un événement du même type que les batailles de Saint-Denis et Saint-Charles, que l’exécution de Chartrand méritait le même jugement qu’on avait eu envers les combattants de ces batailles qui avaient tués des combattants ennemis. Chartrand était un loyal qui avait trahi les siens. Mondelet suggéra au jury qu’il s’agissait d’un acte de guerre. Et le jury acquiesca.
En conclusion, je crois que le jury a eu raison de déclarer les quatre accusés non coupables de meurtre et d’évoquer l’acte de guerre pour expliquer l’exécution d’un homme qui, répétons-le, était inconnu pour un bon nombre de la vingtaine de Patriotes présents à son exécution. Chartrand a été identifié par les leaders du groupe comme ennemi et délateur, et responsable de l’arrestation de quelques Patriotes de Saint-Jean. C’était mettre le feu aux poudres. La lutte armée était commencée. En d’autres circonstances , ces gestes auraient pu avoir d’autres conséquences, mais il a eu à répondre à des hommes qui se préparaient à des assauts pour leur survie.
Roch Montpetit