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En octobre 1837, le Bas-Canada est au bord de la rébellion. Les mouvements
patriotes et loyaux s'organisent et se radicalisent. Les loyaux envisagent de
plus en plus le recours aux armes afin de freiner l'évolution du mouvement
patriotes. Tout le monde se sent concerné par la situation mais, jusque là, le
clergé catholique s’était tenu à l'écart du débat politique. Le 25 juillet 1837,
Jean-Jacques Lartigue, Monseigneur de Montréal, aurait « […] donné à ses curés
des directives de la plus haute importance dans les circonstances actuelles.»
(FILTEAU; 1937; 294) Aucun texte ne prouve ce discours de Lartigue, mais La
Minerve du 27 juillet réagit en disant au clergé « […] de se renfermer dans
les bornes de leurs attributions et de ne pas se mêler de politique.» (FILTEAU;
1937; 294) Tandis que de son côté l'Ami du peuple intitula un article sur
les propos de Lartigue «La Religion contre M. Papineau» dans son édition du 26
juillet. (FILTEAU; 1937; 294) Les bases du début sur l'intervention du clergé
dans les questions politiques sont mises lors de cette première percée
médiatique des opinions de Mgr. Lartigue. «Le 24 octobre, dans un mandement aux
fidèles de son diocèse, l’évêque de Montréal condamna l’action des chefs
patriotes, en se basant sur la doctrine biblique du pouvoir divin des autorités
civiles légitimes. » Pour la première fois, une autorité ecclésiastique prenait
position pour une des parties du conflit bas-canadien. Les curés du diocèse
devaient lire le mandement. Les réactions de ceux-ci ont été multiples,
plusieurs même eurent peur des mauvais effets de sa lecture et trouvèrent un
moyen de le lire avec une pointe de mépris ou durant le vacarme de la fin de la
messe. Certains ne le lirent tout simplement pas. «Beaucoup de Patriotes eurent
un accès de rage et l'évêque commença à recevoir des lettres de menaces, si bien
qu'il songea un instant à vider les lieux pour se réfugier à Québec.» (FILTEAU;
349) Le débat renaissait, l'Église devait telle se mêler de politique ou bien se
taire. Il est évident que ce débat prit d'assaut l'opinion publique et les
journaux qui la véhiculent.
Fidèle à son habitude, l'Ami du peuple se plaça du côté des
constitutionnels. Dans le numéro du 30 octobre 1937 on peut lire :
«Depuis longtemps nous attendions quelques démarches de la part des autorités
ecclésiastiques, nous étions surpris que dans ces temps de trouble et de
désordre l'église ne vint point interposer sa puissance bienfaisante et faire
des efforts pour arrêter les malheurs qui menacent le peuple; nous avons eu
satisfaction de voir que si noire attente a été un peu longue elle n'a pas été
vaine et que le chef de l'église de Montréal vient de se prononcer d'une manière
qui n'est nullement équivoque[...]»
La posture du journal est clairement favorable à l'intervention de Mgr Lartigue.
Cependant, il ne croit pas que l'évêque de Montréal se mêle ainsi de politique
mais plutôt d'un enjeu moral. «Si la politique se bornait ici à des discussions
parlementaires ou à des discussions de gazettes, si chacun selon son opinion
s'efforçait de faire triompher son parti, sans porter atteinte à l'ordre public
et à la morale, nous sommes assurés que notre clergé ne songerait nullement à
intervenir[...]» Dans les événements récents les actions de boycottage afin de
priver l'administration coloniale avaient substituer celles uniquement
politiques. Les formes de résistance avaient débordé de la Chambre d'Assemblée
et c'est au nom de cette nouvelle situation que, selon l'Ami du peuple,
Mgr Lartigue se devait de se prononcer contre cet affront à l'ordre établi. «Ce
n'est pas en effet sous le rapport politique que le clergé et l'évêque de
Montréal envisagent la question des affaires du jour, c'est sous le rapport
moral et religieux, et certes ils en ont le droit.»
La Minerve représente les idées du mouvement patriote. Voilà ce que
l'on peut lire dans son numéro du 30 octobre 1837 :
«Comme gardien de la morale chrétienne sans invitation aucune de la part du
pouvoir exécutif, sans l'espoir de récompense qu'il repousse, monseigneur se dit
forcé de dire quelles sont les maximes de la morale chrétienne. Il cite nombre
des textes bien connus et souvent répétés pour dire : qu'il faut être soumis aux
puissances: au prince; et qu'il n'est pas permis de se révolter.» Le journal
reconnait le principe invoqué par l'Église : «Vous avez raison et nous
sommes d'accord, mais malheureusement vous oubliez qui a commencé la rébellion!
Vous ne vous rappelez pas que c'est cette puissance exécutive à laquelle vous
prêchez obéissance et soumission? Vous êtes assez au fait des événements du jour
pour savoir que c'est la puissance exécutive qui s'est rebellée contre la loi,
[...].» La Minerve convient que le mandement peut protéger une
certaine forme de morale chrétienne mais déplore la soumission à l'exécutif
qu'elle considère comme responsable de l'agitation populaire pro-patriote. Pour
La Minerve, le mandement de Lartigue défend l'agresseur au détriment de
l'agressé et prône «Soumission et obéissance passive à la puissance, au prince,
au gouvernement.»
Pierre-Olivier Leclerc
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