|
|
Depuis 1978, on célèbre chaque année
une Messe du souvenir à la mémoire des Patriotes morts dans les combats
des années 1837-1838. La première fois, en 1978, Mgr Sanschagrin
lui-même l’avait présidée. Cette année, on a souligné le rôle des FEMMES
dans le combat des Patriotes. En particulier celui de Mme Émilie
GAMELIN, fondatrice des Soeurs de la Providence. Le président, M. André
Beauchamp, a décrit son courage et son dévouement : aux 800 prisonniers
qui n’avaient que du pain et de l’eau durant l’hiver 1838-1839, elle
apportait, avec ses compagnes, de la viande, des légumes et surtout des
lettres de leurs familles. Elle rapportait aussi les lettres de ces
prisonniers à leurs épouses. C’est ainsi qu’on doit à cette femme
d’avoir préservé le sublime testament de Chevalier De Lorimier, écrit la
veille de sa pendaison.. En hommage à Mère Gamelin et à toutes les
femmes patriotes, Mme Jocelyne Bibeau de Sorel a exécuté une magnifique
danse symbolique sur la musique de “Liberté”. Plusieurs Soeurs étaient
présentes et elles en ont été ravies. Au début, une chorale d’une
dizaine de voix avait chanté le TE DEUM pour la Victoire de Saint-Denis,
comme on l’a fait plusieurs fois au cours de notre histoire, à l’église
Notre-Dame des Victoires à Québec. Et au Mémento des Morts, comme
d’habitude, les Fifres et Tambours ont joué la complainte
Carignan-Salières. On trouvera l’homélie de M. Beauchamp sur le site des
AMIS des Patriotes: amisdespatriotes.qc.ca |
Fête des Patriotes, 25 novembre 2007
La longue fidélité des femmes, André Beauchamp
Chers amis,
C’est encore moi qui ai le plaisir et l’honneur de présider cette fête de la
mémoire des Patriotes. Depuis une trentaine d’années, je pense que je suis venu
plus souvent qu’à mon tour avec la tâche toujours délicate et difficile de
célébrer la haute figure des patriotes. À vrai dire, on ne fête ni leur victoire
trop brève, ni leur défaite si amère, mais quelque chose de plus profond: leur
sens de la justice, leur goût de la liberté, leur volonté de rester fidèles à
eux-mêmes et d’affirmer une identité et un vouloir vivre ensemble face à la
machine implacable qui leur reprochait d’être français de langue et catholiques
de foi. Ils savaient bien qui ils étaient et qui ils voulaient être alors que
nous, ici maintenant, ne savons parfois plus trop qui nous sommes et qui nous
voulons être. Entre mondialisation et accommodements raisonnables, entre retrait
frileux et virage à droite, entre biotechnologie et crise de l’environnement,
nous nous asseyons près du grand fleuve ou sur le bord du Richelieu pour rêver
d’un pays impossible. On sait qu’en novembre 1838, Colborne traduit 108
prisonniers en cour martiale. De ceux-là, douze seront pendus en public, deux
seront bannis et 58 seront déportés en Australie (Robillard, 1988, p. 130) C’est
de cet exil que nous est restée la mélodie si triste:
Si tu vois mon pays Mon pays malheureux Va dire à mes amis Que je me souviens
d’eux.
Ils se sont souvenus des leurs et d’une certaine manière déjà de nous. Il nous
faut aussi nous souvenir d’eux. Je ne parle pas ici de mémoire nostalgique, de
refuge dans le passé mais d’une victoire sur le temps, d’une mémoire qu’on
appelle eschatologique qui bouscule le temps et change l’aujourd’hui en le
densifiant. C’est précisément la mémoire de l’eucharistie qui associe le passé,
le présent et l’avenir, au nom du Dieu qui est, qui était et qui vient.
Faites-ceci en mémoire de moi. Votre mémoire est une vigile. Votre mémoire est
une action. Votre mémoire est un patrimoine, c’est-à-dire une chose que l’on
reçoit et que l’on lègue en ayant pris la peine de l’enrichir et de le
transformer.
Je voudrais rendre hommage à la ténacité des organisateurs de cette fête, en
particulier monsieur Onil Perrier et `tous les autres responsables que je
connais trop peu. Je trouve intéressante l’idée de mettre en évidence un thème
sur certains personnages. Cette année, ce sont les femmes patriotes qu’on met en
évidence. Il n’est pas simple d’en parler car elles nous parviennent par la
lignée des hommes, par le nom de leur père puis de leur mari. Et s’il leur
arrive d’entrer en religion on change à nouveau leur nom. J’ai parcouru avec
intérêt le petit fascicule d’Onil Perrier sur Les québécoises de 1837-1838. Il y
a là des choses incroyables. Une madame Théophile Barbeau qui arrive à
Plattsburg nu-pieds avec ses quatre enfants. Son mari a été tué à Saint-Charles.
Eugénie Saint-Germain qui assiste à la pendaison de son mari
Joseph-Narcisse Cardinal à genoux dans la neige avec ses quatre enfants.
Thérèse et Marie-Louise Dormicour qui soignent huit soldats anglais après la
bataille de Saint-Denis. Esther Alaire qui est enceinte et a à peine 20
ans. Les soldats ont mis le feu à sa maison. Elle saute par la fenêtre et se
tue. Madame Antonio Merizzi – on ne sait pas son nom de fille – tient tête aux
soldats et reste dans la maison que ces derniers veulent incendier. Sa volonté
est plus forte que la leur. Le matin du 23 novembre 1837, Appoline Létourneau
place sur la poitrine de son mari, Louis Pagé, une rame de 15 feuilles de
papier. Il est atteint d’une balle de fusil qui traverse quatorze feuilles.
On ne sait pas grand chose des femmes des patriotes, mères, filles, épouses,
sœurs. Elles sont anonymes ou presque. Mais la trace de leur courage, de leur
travail, de leur intelligence est là. On dirait que les hommes veulent toujours
construire un monde sans femme. Mais au détour, là où la vie se joue pour vrai,
la femme est là.
Parmi toutes ces femmes du temps, une figure émerge : Émilie
Tavernier-Gamelin. Née le 19 février 1800 (père Antoine Tavernier, mère
Marie-Josephte Maurice), elle était la quinzième de la famille, dont neuf
sont déjà morts au moment de sa naissance. On n’a pas idée de la souffrance de
ces gens-là. Émilie a quatre ans quand sa mère meurt à l’âge de 48 ans. Émilie
va vivre chez sa tante dans un milieu confortable et plutôt bourgeois. C’est une
enfant intelligente et généreuse, sensible aux pauvres et à la détresse
d'autrui. Adulte c’est une femme belle, intelligente, séduisante. Elle semble ne
pas manquer de prétendants mais témoigne d’une indépendance assez rare à son
époque. Elle songe à la vie religieuse mais ne s’engage pas en ce sens. À l’âge
de 23 ans, elle s’éprend d’un voisin de 50 ans Jean-Baptiste Gamelin, homme
pieux et généreux. Il semble que ce soient les valeurs – la piété et la charité
– plus que la passion qui les réunissent. Mais allez donc savoir!
Émilie Tavernier-Gamelin donne le jour à trois enfants dont deux meurent
prématurément. Le premier octobre 1827, Jean-Baptiste Gamelin meurt à l’âge de
55 ans. En 1828, le troisième fils d’Émilie, François-Toussaint-Arthur, meurt à
son tour. Ça fait beaucoup de morts en peu de temps. Émilie Tavernier
s’identifie à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. On le comprendrait à moins
Désormais et de plus en plus clairement, c’est à soulager la souffrance des
autres que Émilie Tavernier va se consacrer. Elle s’occupe de l’idiot Dodais que
son défunt mari avait pris sous sa protection. Paradoxalement, au moment de
mourir l’idiot retrouvera sa lucidité et une clarté d’élocution pour dire merci
à sa bienfaitrice. Pour le reste, madame Gamelin visite les pauvres et assiste
qui elle peut.
En 1827, elle s’inscrit à la Confrérie du bien public, une association de
bienfaisance qui cherche à créer des emplois pour des femmes pauvres aptes au
travail. La pauvreté sévit partout et les femmes, comme toujours, en ont plus
que leur mesure. D’où les problèmes de prostitution et de délinquance d’une
part, les problèmes de mères abandonnées avec leurs enfants et de vieilles
esseulées souvent malades d’autre part. En 1830, Émilie Tavernier ouvre un
refuge sur la rue Saint-Laurent, refuge pour femmes âgées parfois malades, et
pour d’autres femmes pauvres, mendiantes, vagabondes. Elle s’implique
personnellement, soigne, soutient, console, organise. Elle sollicite des dons
auprès de ses amies de la société bourgeoise, des parentes, des connaissances.
Au delà des clivages de fortune et de rang, il y a une solidarité sur la base de
la commune humanité On dirait aujourd’hui des femmes solidaires utilisant les
moyens du temps : des bazars, des ventes de garage, des tirages, des collectes.
Ce qui est intéressant c’est que leur solidarité féminine et sociale dépasse les
appartenances sectorielles d’argent, d’opinions politiques, voire même en
certains cas de langue et de confession religieuse.
Madame Gamelin est sur tous les fronts. Elle s’implique lors de l’épidémie de
choléra de 1832. En 1834, le refuge s’agrandit et déménage à la maison jaune sur
la rue Sainte-Catherine entre les rues Saint-Christophe et Saint-Hubert. Parmi
ses activités de bienfaisance, ce que le petit catéchisme appelait les oeuvres
de miséricorde temporelles et spirituelles, madame Gamelin inclut la visite des
prisonniers. Elle a pris l’habitude d’aller visiter les femmes en prison. Avec
l’agitation politique, les prisonniers politiques abondent dans la nouvelle
prison commune du Pied-du-Courant. Le 16 novembre 1837, vingt-six mandats
d’arrestation sont émis à Montréal. François Tavernier, le frère d’Émilie est
arrêté avec, entre autres, Jacques Viger et Ludger Duvernay. En prison, les
prisonniers n’ont que du pain et de l’eau. Madame Gamelin déjà connue des
gardiens de prison apporte de la nourriture, des vêtements, des nouvelles,
parfois des lettres dans un sens ou dans l’autre. En décembre 1837, Colborne
donne l’ordre d’inspecter toutes les maisons pour saisir les armes. Quand on
demande à madame Gamelin à la maison jaune si elle cache des armes, elle répond
que oui, bien sûr. Elle ouvre alors la porte de la salle où se trouvent les
vielles personnes dont elle prend soin en disant : « Je sais mieux soulager les
pauvres que manier les armes » (Robillard, p. 125) Je ne sais pas si la citation
est vraie mais elle est l’écho d’un geste de Jean Chrysostome auquel les soldats
avaient intimé de rendre les trésors de l’Église. Il les avait alors conduits au
quartier des pauvres.
Au printemps 1838, madame Gamelin tombe gravement malade. On pense qu’elle va
mourir. Mais elle est guérie comme miraculeusement après un songe où une voix
lui disait qu’il lui faudrait aimer et servir les pauvres avec plus d’attention
et de zèle. J’ai peur sur ce point que nous soyons en panne de songes.
Madame Gamelin reprend ses visites à la prison accompagnée parfois d’autres
femmes : Marguerite Barsalou-Gauvin, sa cousine Agathe Perreault-Nowlan,
sa parente Euphrasine Lamontagne. On surnomme Émilie Tavernier « l’ange
des prisonniers politiques » Elle soigne, écoute, console, apaise. Elle prie
avec les prisonniers. Elle donne à Léandre Ducharme, 21 ans, une image de
Notre-Dame-de-la-Délivrance. Ducharme sera exilé en Australie. Mais il reviendra
plus tard au pays et redonnera l’image aux Sœurs de la Providence.
Je ne veux pas raconter aujourd’hui toute la vie de madame Émilie
Tavernier-Gamelin. Peu à peu son engagement social se radicalise et s’amplifie.
Monseigneur Bourget qui est un évêque très clérical veut faire du groupe qui
s’occupe du refuge des femmes une institution religieuse. Au prix de grands
renoncements et d’énormes tensions, Émilie Gamelin deviendra sœur Gamelin et
sera reconnue comme la fondatrice des Sœurs de la Providence, plus précisément
Institut des Sœurs de Charité de la Providence, ou encore Filles de la Charité
Servantes des Pauvres, dites Sœurs de la Providence. Mère Gamelin meurt en 1851,
victime du choléra, victime en fait de son zèle à soigner les victimes de
l’épidémie.
Au 19e siècle, la société francophone du Québec a beaucoup profité
des institutions religieuses pour assurer des tâches primordiales de la société,
l’instruction, les services de santé et les services sociaux. La société
canadienne-française était pauvre et dominée. Heureusement que des milliers de
personnes – dont beaucoup de femmes – ont fait de leur vie une vie offerte aux
autres. J’aimerais rappeler la mémoire de trois veuves : Marguerite De Frost
de la Jemmerais (1701 – 1771), veuve de François You et que l’on connaîtra
sous le nom de mère d’Youville, fondatrice des Sœurs Grises; Rosalie
Cadron (1794 – 1864), veuve de Jean-Marie Jetté et fondatrice des Sœurs de
la Miséricorde. La troisième c’est, bien sûr, Émilie Tavernier-Gamelin. Ce
furent là trois femmes fortes et courageuses.
En pensant aux femmes patriotes il m’arrive de penser que les hommes sont
souvent prompts à la guerre et à la violence, voulant régler leurs différents
par la force. Les femmes pour leur part semblent avoir plus de talent pour
sauvegarder la vie et trouver des voies d’entraide et de solidarité. Bien sûr,
la situation des femmes de 1837 ne ressemble guère à celle des femmes
d’aujourd’hui. Nous pouvons penser que les femmes aujourd’hui peuvent assumer
plus pleinement leur rôle dans les champs du travail, de l’économie, de la
politique. Plus égales, elles ont plus de liberté pour assumer tous les défis
qu’elles estiment pouvoir ou devoir relever. Loin de moi la prétention de les
enfermer dans un éternel féminin dicté par la nature.
La fête d’aujourd’hui est, comme à chaque année, celle du Christ-Roi.
Permettez-moi d’attirer votre attention sur le récit de Luc. C’est l’histoire
que nous connaissons bien du bon larron. On avait crucifié en même temps que
Jésus deux larrons, c’est-à-dire deux bandits de droit commun. On peut se
demander pourquoi avoir pris la peine de crucifier deux autres personnes ce
jour-là. La raison me semble assez claire : c’est pour rabaisser Jésus au rang
des bandits. Jésus a été condamné pour des motifs religieux et politiques. Les
chefs religieux du temps ne pouvaient pas tolérer l’image de Dieu préconisée par
Jésus. C’était scandaleux. De son côté, Pilate cède à la pression pour acheter
la paix. Mais le système ne veut pas admettre la dimension prophétique de la
mort de Jésus. On crucifie donc avec lui deux criminels précisément pour faire
passer Jésus comme un simple criminel. Vous remarquerez qu’en 1837 – 1838, les
autorités du temps ont écroué les Patriotes dans la prison du Pied-du-Courant.
Ils y sont mêlés eux aussi aux prisonniers de droit commun. Les Patriotes ne
sont alors que des bandits.
Devant la croix de Jésus, dans le récit de Luc, il y a trois types de
personnages. Il y a le peuple qui reste là à regarder (v. 35). Les chefs
ricanent en se moquant de Jésus : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve
lui-même ». Il y a ici une volonté très nette d’humilier, d’écraser. Il ne
s’agit pas uniquement de faire souffrir et de tuer mais il faut atteindre
l’estime de soi. C’est pour le même motif que Colborne fait pendre douze
patriotes en public en trois séances pour abattre la volonté de survivre d’un
peuple humilié. Mais c’est une erreur car l’excès de vengeance est aussi source
d’indignation. On l’a bien vu en Iraq quand des soldats américains incluant des
femmes ont cherché à humilier des prisonniers en les dégradant. Et cela a
soulevé l’indignation mondiale.
Les deux malfaiteurs suspendus à leur croix représentent les deux versants de la
référence humaine devant le mystère de Jésus. L’un des deux reprend la moquerie
des chefs et méprise Jésus. L’autre fait la démarche inverse. Il reconnaît ses
propres torts et confesse l’innocence de Jésus. Alors se tournant vers Jésus, il
met en lui sa confiance. « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras
inaugurer ton Règne ». C’est le seul dans l’évangile à appeler Jésus par son
nom. Il ne dit pas maître, rabbi, Seigneur, mais simplement Jésus.
Il existe dans la liturgie des heures, un très bel hymne qui dit qui donc est
Dieu pour nous aimer ainsi? qui donc est Dieu, si démuni, si grand, si
vulnérable? qui donc est Dieu, que nul ne peut aimer s’il n’aime l’homme? qui
donc est Dieu qu’on peut si fort blesser en blessant l’homme?
Le bon larron reconnaît en Jésus la faiblesse de Dieu, l’immensité de l’amour de
Dieu qui consent à la mort pour témoigner son amour. En entrant dans cet amour,
il entre aussi au Paradis car il vient tout-à-coup de donner un autre sens à sa
vie.
Sous prétexte de mondialisation, de terrorisme, de marchés économiques ou
d’intégrismes religieux, nous sommes en train d’acquiescer à la spirale de la
violence, de la haine, de l’humiliation de l’humanité souffrante. Nous avons
bien besoin de réapprendre à aimer et à servir cette humanité souffrante en
commençant par les plus pauvres, qu’ils soient prisonniers, enfants abandonnés,
mères esseulées ou vieillards oubliés. Émilie Tavernier-Gamelin a fait de sa vie
une vie offerte à l’amour et au service d’autrui. Elle a construit sa vie dans
une époque tourmentée. Elle a drainé dans son sillage d’autres familles et c’est
beaucoup grâce à elles que nos ancêtres ont repris le goût de vivre et ont levé
la tête. Que leur mémoire renouvelle en nous l’espérance. Amen.
SOURCES BIOGRAPHIQUES :
JEAN, Marguerite Article du dictionnaire biographique du Canada
NADEAU, Eugène La femme au coeur attentif Montréal, Providence, 1969
PERRIER, Onil, Les Québecoises de 1837 – 1838 2007, Éditions idg
ROBILLARD, Denise Émilie Tavernier Gamelin Montréal, Méridien, 1988
Onil Perrier (450) 787-3229
| |