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Les Patriotes de 1837@1838 - La fête des Patriotes: le temps d'agir. Par Gilles Laporte
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La fête des Patriotes: le temps d'agir. Par Gilles Laporte
Article diffusé depuis le 24-juin-2002
 


Victoria I, Reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et Impératrice des Indes (1837-1901)

Il y a maintenant près de dix ans que le Club souverain de l'Estrie, ainsi que d'autres organismes comme la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, font la promotion d'un congé férié consacré à commémorer le mouvement libéral et nationaliste des Patriotes des années 1830. Cette coalition a ainsi constitué un dossier étoffé, diffusé de l'information par tous les médias accessibles et suivi toutes les voies démocratiques, allant de la pétition à la résolution votée par le Conseil central du Parti québécois. Il s'agit, rappelons-le, que le troisième lundi du mois de mai, dit fête de la Reine et désigné au Québec comme la fête de Dollard soit désormais reconnu comme la fête des Patriotes. Malgré tous les efforts déployés, l'imagination mise en œuvre et les compromis réalisés; malgré aussi des promesses réitérées des instances politiques, il reste que le gouvernement du Parti québécois n'a toujours pas entériné ce projet. En tant qu'historien il suis heureux de prêter ma voix à la démarche engagée par le Club souverain de l'Estrie et l'alimenter de nouveaux arguments tout en rappelant l'importance de disposer de jalons identitaires véhiculant des modèles valables, en particulier quand ils sont inscrits au calendrier.

The Victoria Day

Rien ne destinait au trône Alexandrina Victoria, fille unique d'Edouard, duc de Kent et de Victoria Maria Louise de Saxe-Cobourg, née le 24 mai 1819. Le concours des circonstances fit pourtant que son oncle, le roi Guillaume IV, mourut sans héritier à peine 27 jours après que Victoria ne devint majeure et puisse ainsi accéder au Trône d'Angleterre et d'Écosse le 20 juin 1837. Ce qui singularise le règne de Victoria 1ière est d'abord sa longévité. De 1837 à 1901, soit 64 années marquées par une croissance démographique et économique sans précédent pour son royaume, par la cruelle Révolution industrielle et surtout par l'intense expansion de l'Empire britannique. C'est à sa mort en 1901 que le parlement du Canada fait du jour de la semaine le plus près du 24 mai – le Victoria Day – un congé obligatoire à travers le Dominion (la loi sera amendée en 1952 pour désormais désigner le lundi précédent le 25 mai de chaque année). Curieusement, le sort du Canada fut peu lié à celui de la souveraine si on excepte le titre ronflant d'Impératrice des Indes qui lui est conféré en 1876 et qui, apparemment, renforçait son autorité sur le Canada. Son règne ne fut pas non plus particulièrement glorieux pour les colonies qui doivent subir l'assaut des nouveaux impérialistes, opérant un peu partout une vaste campagne d'acculturation des populations indigènes (des Boers aux Aborigènes en passant par les Irlandais et les Canadiens-Français). Cette commémoration est devenue d'autant plus curieuse que le Canada est un des seuls état du Commonweath à encore célébrer l'anniversaire de la vénérable souveraine. L'Australie ne commémore plus la famille royale anglaise; quant à la Grande-Bretagne, elle a plutôt, en toute logique, choisi de souligner l'anniversaire du souverain régnant. S'il ne peut guère être question de convaincre le reste du Canada de l'évidente futilité d'une telle célébration, la vaste majorité des Québécoises et des Québécois conviendront sans peine et sans regret de la nécessité de revitaliser le sens d'un tel jour férié, même si la date ne devait pas t'en changer.



La fête de Dollard

C'est déjà ce que s'étaient dit des nationalistes québécois durant les années 1920 autour de l'historien Lionel Groulx. Ces derniers trouvaient alors injurieux (nous dirions aujourd'hui inutile et sans fondement) de célébrer la monarchie qui, apparemment, avait contribué à l'asservissement des habitants du Québec. Le choix de Dollard correspondait alors à des conditions historiques spécifiques qui allaient au-delà de simple coïncidence des dates. Il est en effet attesté que seize hommes quittent Ville-Marie le 20 avril 1660 sous les ordres de Adam Dollard des Ormeaux à destination de l'Outaouais afin d'y récupérer un lot de fourrures et y bloquer la route à un contingent d'Iroquois qui menacent alors la Nouvelle-France. Des Ormeaux, ses hommes et quelques alliers amérindiens s'installent dans un fortin de fortune au Long Sault (Carillon) où ils subissent apparemment l'assaut des Iroquois plusieurs jours durant et où ils périssent jusqu'au dernier. C'est Pierre-Esprit Radisson qui fait la macabre découverte quelques jours plus tard. L'acte de décès de Dollard est notifié du 27 mai 1660.

Si l'histoire du Québec regorge de martyres épiques, celui de Dollar répondait dans l'esprit de Groulx et de ses suivants à quelques conditions utiles: cette histoire fait d'abord l'apologie du sacrifice à la Patrie et à sa foi; elle oppose clairement la sauvagerie à la grandeur de la civilisation française et surtout met prudemment en scène des protagonistes depuis disparus dans le Québec du début du XXe siècle: les Français ayant entre temps quitté pour l'Europe et, les Amérindiens, pour la marginalité et l'exclusion.

Sans plus de cérémonie convenons que la célébration du «Massacre du Long Sault» est devenue purement et simplement gênante alors que les autochtones en font aujourd'hui – et avec raison – le prétexte à rappeler la discrimination et le mépris qui ont marqué leurs relations avec les francophones. Chacun sait aussi que depuis un siècle, des historiens et des anthropologues ont contesté la version idéalisée de l'affaire de Dollard, interrogeant en particulier les véritables motivations des protagonistes. Mais convenons que la principale objection qu'on puisse faire à cette commémoration «parallèle» au jour de la Reine est son peu de prise sur la réalité et l'identité du Québec contemporain; en somme son peu de pertinence en regard du rôle que doit jouer une commémoration dans sa fonction identitaire et exemplaire.

La bataille de Saint-Denis alors ?

Le Club souverain de l'Estrie et les autres promoteurs d'une fête des Patriotes n'avait pourtant pas d'emblée ciblé le lundi précédent le 25 mai en guise de date plausible pour célébrer la lutte constitutionnelle des années 1830. Certaines dates, et au premier chef, la victoire des Patriotes sur l'armée britannique le 23 novembre 1837, allaient bien davantage de soi. Le 23 novembre est d'ailleurs déjà officiellement reconnu comme la «journée des Patriotes» au Québec, mais comme il ne pouvait être question d' «ajouter» un nouveau jour férié au calendrier on devait, soit se contenter du dimanche le plus proche du 23 novembre, soit aller bousculer un autre jour férié du calendrier civil ou religieux. Pour les raisons mentionnées plus haut il appert que c'est le jour dit de la Reine qui devrait en faire les frais, en particulier parce que les Patriotes eux-mêmes nous proposent de fameux anniversaires à célébrer au doux mois de mai.

Du 23 novembre disons aussi qu'il est toujours périlleux de célébrer l'anniversaire d'une tuerie ou d'une bataille. D'abord parce qu'une fête vise en particulier à célébrer l'unité et la réconciliation dans une communauté alors que le souvenir des batailles suscite le plus souvent l'amertume des vaincus et l'insolence des vainqueurs. Par ailleurs, la victoire sur le champ de bataille n'est nullement garante de la supériorité des principes défendus. Les Patriotes l'ont ultimement vérifié eux-même. À moins de prêter foi au Digitus Dei est hic, il est plutôt rare que la Providence fit toujours en sorte que le sort des armes favorise le bien et la vertu. Or c'est bien de vertu et d'édification dont il est question quand on parle de fête commémorative. À mon enfant qui me demandera pourquoi on célèbre le 23 novembre, je ne veux pas avoir à répondre «parce qu'à cette occasion les Patriotes ont tué davantage de soldats que les soldats, de Patriotes» (ce qui serait d'ailleurs inexact).

La plupart des nations ne s'y sont pas trompé et célèbrent plutôt l'anniversaire d'une constitution, d'une déclaration d'indépendance ou d'une charte de droits plutôt que les batailles qui les ont assises dans l'histoire. Les Américains célèbrent judicieusement la Déclaration d'indépendance (4 juillet), signée dans l'indifférence par quelques politiciens poursuivis par la police anglaise et non la victoire de Bunker Hill (17 juin) sans laquelle la Déclaration ne serait sans doute demeurée qu'un autre manifeste libertaire. Quand un peuple choisit quand même de commémorer une bataille le résultat est généralement fâcheux. À preuve, en Irlande du Nord, la commémoration par les Protestants de la bataille remportée à Boyne par Guillaume d'Orange (12 juillet 1690) vise à rappeler aux catholiques leur condition de vaincus et dégénère encore régulièrement en affrontements violents. Bien que les victoires et les défaites patriotes lors des Rébellions de 1837-1838 confirment bien l'intensité des débats et l'importance des enjeux, le volet martial ne s'avère ni d'une grande ampleur sur le plan humain ou matériel (une douzaine de morts au total à Saint-Denis ?), ni le témoignage explicite et exemplaire des idées alors mises en jeu.

Célébrer les Patriotes doit d'abord consister à rappeler la lutte de démocrates éclairés, de Daniel Tracy à John Neilson, d'Amury Girod à Louis-Joseph Papineau – d'un Irlandais à un Anglais, d'un Suisse à un Bas-canadien – qui depuis l'implantation des institutions parlementaires en 1791 et d'une presse d'opinion en 1807 ont lutté pour les droits de la majorité, dont celui du peuple à se gouverner lui-même. À compter de 1827, le Parti patriote, représentant d'une très large frange de la population du Bas-Canada, réclame le respect de certains principes toujours d'actualité et qui ne risquent pas d'être démodés pour trois prochains siècles ! Qu'il s'agisse du droit d'élire ceux qui détiennent les postes exécutifs au gouvernement, que les élus aient droit de regard sur l'ensemble des sommes dépensées par l'État, que les lois n'entretiennent aucune discrimination basée sur l'origine ou la culture ou que le Bas-Canada (le Québec d'alors) accède à une forme de souveraineté qui le mette à l'abris de la domination d'une autorité tutélaire, qu'elle soit impériale ou fédérale. À ceux qui voient déjà dans une telle célébration guère plus que de l'eau au moulin souverainiste, j'inviterai à mieux étudier les textes d'époque. La palette des revendications allait bien au-delà de la simple volonté autonomiste et embrassait des revendications aussi fondamentales aujourd'hui qu'en 1837. C'est cette lutte démocratique et populaire, à la fois intensément et largement menée par tout un pan de la société d'alors, qu'il importe de célébrer.

Dès lors, les anniversaires plausibles sont légion. On pense spontanément au 92 Résolutions qui, le 21 janvier 1834, posaient l'ensemble des revendications du Parti patriote, ou à la Déclaration d'indépendance de la République du Bas-Canada du 28 février 1838. Mais ces deux événements demeurent le propre d'un petit groupe d'individus et ne traduisent qu'indirectement les aspirations populaires. Or, l'acteur essentiel de la lutte patriote, son héros dirions-nous, c'est bien la population elle-même qui, comme à aucun autre moment de l'histoire du Québec, s'est alors passionnée pour la politique et la conquête de droits démocratiques. Cette foule mobilisée a d'abord participé à des opérations plutôt anonymes, comme des élections et des pétitions (pétitions de 35 000 noms en 1827; pétition de 30 000 en 1834 pour appuyer les 92 Résolutions) avant de s'engager avec l'exubérance dans la résistance civile, puis militaire. Mais, entre temps, aucune manifestation n'a dépassé en visibilité et en intérêt proprement historique le vaste mouvement des assemblées populaires qui se tiennent tout le long de la vallée du Saint-Laurent à compter du moi de mai 1837. On parle ici d'une centaine d'assemblées ayant réunis plus de 10 000 personnes et qui témoignent chacune de l'intensité et de l'intérêt des idées débattues, à preuve les centaines de résolutions qui y furent passées et dont l'histoire a conservé la trace.

Les Patriotes gâchent le couronnement de Victoria

Ces assemblées sont en fait une réponses aux dix résolutions de Sir John Russell, votées à Londres le 6 mars1837, et qui opposent une fin de non recevoir aux trois principales revendications patriotes: non au contrôle du budget par les élus, non à l'électivité des ministres, non au gouvernement responsable. C'est la première réponse en vingt ans aux doléances des Québécois et elle est cinglante. La nouvelle du dictat traverse l'Atlantique comme un ouragan et les assemblées dites anti-coercitives vont s'engager comme un raz-de-marée. Des milliers de personnes vont donc se retrouver à Saint-Ours (Richelieu) dès le dimanche 7 mai pour dénoncer les Résolutions Russell et notamment appeler au boycottage des produits anglais et encourager le peuple à la résistance. Le lundi suivant, le 15 mai 1837, pas moins de trois assemblées se tiennent à Québec, Saint-Marc (Verchères) et surtout à Saint-Laurent (Montréal) où Louis-Joseph Papineau annonce que «La circonstance nouvelle c'est que le parlement britannique prend parti contre nous puisque le gouvernement persécuteur repousse toutes et chacune des réformes demandées. […] Désormais, toutes les colonies anglaises ont les motifs les plus urgents d'avancer l'heure de leur séparation et il faut que nous soyons tôt ou tard prêts à prendre ce que la main de fer du pouvoir veut nous arracher.» Le 1er juin, à À Saint-Scolastique (Deux-Montagnes), William H. Scott scande que «nous travaillerons sans peur et sans reproche, comme dans le passé, à assurer à tout le peuple, sans distinction, les mêmes droits, une justice égale et une liberté commune.» À la Malbaie, à 400 kilomètres de Montréal, Louis Bouchard propose que «Nous considérons comme rompu et nul le contrat social qui nous attachait à l'empire britannique, qui en cessant de remplir ses engagements nous relève des obligations que les traités nous imposaient.» À Saint-François (Yamaska) Célestin Caron appelle à ne compter «que sur nous-même, sur notre propre énergie et sur la sympathie de nos voisins du continent d'Amérique». À Napierville (Acadie), Cyrille O. Côté : «Qu'on fasse en sorte d'assurer tôt ou tard le triomphe des principes démocratiques qui seuls peuvent fonder un gouvernement libre et stable sur ce nouveau continent.»

Cette fête des Patriotes que je suggère c'est célèbrerait les grandes assemblées du printemps de 1837, expression démocratique et pacifique d'origine populaire, et tenues à l'échelle de tout le Québec actuel et pas seulement - comme les batailles - dans la seule région de Montréal. Cette fête respecte toutes les conditions d'ouverture, en particulier en mettant de l'avant des valeurs universelles, tout en invitant à s'impliquer personnellement et collectivement dans leur préservation. Elle devrait se tenir le troisième lundi du mois de mai, en lieu et place du jour de la Reine Victoria, dont elle rappelle à tout le moins l'année du couronnement. Quant à Dollard et Victoria, ni l'un ni l'autre ne recoupe aussi bien les problématiques du Québec actuel. Pis encore, ces fêtes sont devenues ennuyeuses et gênantes.

4 novembre 2001.

 

Recherche parmi 16 491 individus impliqués dans les rébellions de 1837-1838.

 



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